Une recette de l’oncle Chambolle !
Tous ces désastres avaient une cause unique, fort bien expliquée par Constance de Lyon (1) « Quodam tempore conspiratione terribili beato viro bellum quoddam daemones intulerun…t » Eh oui ! Rendus enragés par la sainteté de Germain, l’évêque de la ville, les démons avaient ourdi une terrible conspiration pour livrer au bienheureux (beato viro) une guerre sans merci. Mais ils avaient trouvé à qui parler. Par la force de ses oraisons et la puissance de ses bénédictions, le vénérable prélat guérit les malades, délivra les possédés, calma les jeunes des banlieues, pardon, les Bagaudes, expédia les mercenaires loin de son diocèse et, plus fort que tout, obtint du ministère des finances impérial, la suppression d’un impôt.
Germain n’eut aucun mal à deviner la main du Malin, sous ce nouveau malheur. L’état pitoyable du vignoble qu’il possédait en face du Mont Bren, acheva de le persuader qu’il y avait urgence. Mais comment convaincre ses ouailles de renoncer à leur antique superstition.
« - Seigneur ! implora-t-il, quand je vous l’ai demandé, vous avez protégé mes Auxerrois des Bagaudes, des Goths et des percepteurs. Vous les avez guéris de leur enflure de gorge et vous avez libéré des démons ceux qui en étaient possédés ! Je vous en supplie ! Une fois de plus, étendez sur nous votre miséricorde ! Délivrez nous du mal et de ses escargots. D’ailleurs je vous en préviens, si ces bestioles continuent leurs ravages, nous n’aurons rien à vendanger et sans vin, comment célébrer la sainte messe ? Vous ne voudriez tout de même pas que j’aille acheter leur piquette aux Burdigalais ou aux Massaliotes !
- Germain, mon fils, répondit le Seigneur, en parlant comme tu viens de le faire des Massaliotes et des Burdigalais tu as commis un grave péché. Leur piquette, comme tu dis, n’est pas si mauvaise et même si Saint Vincent, qui s’y connaît, affirme que votre vin est excellent, ce n’est pas une raison pour critiquer celui des autres, surtout s’ils sont moins favorisés que toi.
- Vous avez raison Seigneur, j’ai gravement péché et je vous promets de faire pénitence, mais reconnaissez qu’il y a de quoi perdre un peu la tête ! Remplir votre calice avec du vin de Burdigalia ! J’aurais l’impression de commettre un sacrilège.
- Voilà que tu recommences mauvaise tête ! Si ma patience n’était pas infinie, je me demande si je ne me fâcherais pas un peu.
- Pitié Seigneur ! Oubliez ce que j’ai dit sur les Burdigalais et aussi sur les Massaliotes et, s’il vous plaît, anéantissez ces escargots diaboliques.
- Voyons Germain, cette affaire est un enfantillage. Tu es parfaitement capable de t’en occuper tout seul et c’est d’ailleurs ce que tu vas faire. Si, dans ma bonté, j’ai doué les hommes de raison c’est pour qu’ils s’en servent.
- Mais Seigneur, vous savez bien qu’il y a du diable là-dedans et comment voulez-vous que je lutte contre Satan si vous ne m’aidez pas.
- Germain, mon ami, je te le répète : sers toi de ta cervelle, mais pour qu’il ne soit pas dit que tu m’aies prier en vain, je vais te donner un indice. Il tient en un mot : Flavia.
- Flavia ? Je ne vois pas ce que vous voulez dire ?
- Germain, tu aggraves ton cas. Dois-je te rappeler qu’en plus d’être miséricordieux, je suis omniscient.
- Ça y est, j’y suis ! Que voulez-vous ! De voir les vignes dans cet état, ça vous retourne un homme. Flavia ! Oui, bien sûr, je me souviens ! Mais c’était il y a si longtemps et puis je me suis confessé !
- Je le sais et tu as été pardonné, mais je te le répète pour la dernière fois : réfléchis. »
Germain baissa la tête. Flavia ! Il l’avait rencontrée au temps de ses études romaines. Seconde et jeune épouse du vétuste propriétaire de la taverne « Au rire de Bacchus», elle avait eu pour lui ce qu’on appelle des bontés et c’était elle qui lui avait fait découvrir… Le visage de l’évêque s’éclaira :
- Les escargots à la mode cyrénaïque !
- Tu vois quand tu veux !
- D’accord Seigneur ! Je vois où vous voulez en venir. Vaincre le démon en utilisant ses propres armes. La gourmandise contre les escargots !
- Exact !
- C’est vrai que cette sauce ! On s’en léchait les doigts !
- Je sais : huile d’olive d’Etrurie, garum de Neapolis, liber, poivre et un petit quelque chose en plus…
- Elle n’a jamais voulu me dire ce que c’était et comment voulez-vous que j’arrive à le découvrir ? Avant que j’aie trouvé, ces damnés escargots auront dévoré ce qui reste de nos vignes.
- Germain, ce n’est pas pour te vexer, mais je te croyais plus de mémoire. Tu es sûr de n’avoir connu qu’une Flavia ?
- Vous voulez parler de la fille du jardinier de Lugdunum ?
- Elle-même.
- Et de sa façon d’accommoder le fromage frais aux herbes ?
- Tu progresses. Encore un effort !
- Et de sa manie de faire la cuisine au beurre ?
- Nous y voilà !
- Merci Seigneur ! Je crois que j’ai compris. »
Est-il besoin d’en dire plus. Oubliant leurs préventions les invités mangèrent fort bien les escargots qu’on venait de leur servir. Mieux, ils en redemandèrent. De retour chez eux, ils vantèrent l’excellence du met servi par l’évêque. Du coup, tout Auxerre voulut y goûter et trois mois plus tard, les duumvirs de la Cité furent contraints de réglementer sévèrement le ramassage des escargots de crainte que l’espèce ne disparaisse. C’est ainsi, qu’une fois de plus, le saint évêque Germain déjoua les plans de l’engeance satanique pour la joie des fidèles, l’édification des incrédules et la gloire de la Bourgogne où venait de naître un nouveau plat, ce qui, comme le professe Anthelme Brillat Savarin, fait plus pour le bonheur de l’Humanité que la découverte de n’importe quelle planète morte.
(1) Constance de Lyon « Vie de Saint Germain d’Auxerre » Les éditions du Cerf - Introduction, traduction, commentaires et notes de René Borius
Et maintenant la recette de l’Oncle Chambolle
On s’épargnera les manipulations ci-dessus en utilisant des conserves. On les choisira françaises et même franc-comtoise. Pour s’assurer de leur qualité on vérifiera sur l’étiquette qu’il s’agit d’animaux du genre hélix (l’escargot de Bourgogne c’est hélix pomatia). Après ouverture de la boîte, égouttez les bêtes, mettez les dans une casserole et recouvrez de vin blanc sec que vous portez à ébullition. Au premier bouillon retirez du feu et égouttez de nouveau. Cette manipulation ôte le léger goût de fer qu’ont certaines conserves.
Et maintenant LE VRAI beurre d’escargot à la Bourguignonne
Hachez très finement le persil, l’échalote et l’ail. Mélangez à la main, ce hachis, le beurre, le sel et le poivre. Un peu d’eau sortira, l’égoutter. Ensuite, mettre un peu de ce beurre au fond d’une coquille (ou d’un des très pratiques petit récipient de terre cuite que vendent d’industrieux potiers morvandiaux), ajouter l’escargot et remplir jusqu’au bord avec du beurre.
Avant de servir, mettre vos escargots une dizaine de minutes à four chaud (il faut que le beurre bouillotte) et en avant pour la dégustation. Avec ça du vin Bourgogne et RIEN D’AUTRE, mais vous avez le choix. Selon vos goûts et vos moyens, vous élirez un Meursault, un Chablis ou, pourquoi pas, un bon aligoté. Entendu qu’une fois rassasié vous aurez pour Saint Germain la petite pensée émue et reconnaissante qu’on doit à celui qui, s’il n’a pas vraiment inventé cette recette, veille sur l’Auxerrois, où il est certain qu’elle a vu le jour.
Chambolle
(2) Une petite règle de trois vous permettra d’ajuster les quantités au nombre de mollusques que vous allez préparer