“Je revendique une certaine complexité” E. Zemmour faisant la leçon à un comédien lors d’un talk-show télévisé sur une chaîne publique
La nasse s’est refermée, la prise est belle. Le Procès d’E. Zemmour a poussé chacun à prendre parti. Un engagement quasiment aveugle, non pas sur la pertinence des propos du saltimbanque, mais sur les présupposés du débat public. En l’occurrence la contradiction au lieu du délit d’opinion comme l’évoque G. Birenbaum. D’autres exhumeront même Voltaire “je n’aime pas vos idées, mais je me battrai pour que vous puissiez les exprimer” pour se ranger sous l’étendard moisi de l’archéonationaliste. Même s’ils ne partagent pas ses opinions. Majoritairement, les acteurs du débat se prononcent en faveur de la doctrine chomskienne de la liberté d’expression dans un environnement contradictoire. Une posture libérale et moderne, qui tranche franchement avec ceux que l’on veut combattre (les censeurs), à armes égales sur le champ des idées. Doublé d’un frisson subversif à se positionner au côté des infâmes pour une cause juste. Un piège parfait finalement.
Mais la situation est inconfortable et comporte plusieurs écueils suscitant questionnement et réflexion. D’abord, la mise en procès pour “incitation à la haine raciale” ne dispense pas du combat idéologique. Ensuite (et surtout), existe-t-il en France aujourd’hui, un environnement propice à la confrontation sereine des points de vue sur les questions d’immigration (mixée à l’insécurité) ? Question dont on peut apprécier dès l’énonciation le caractère biaisé. Une chose est certaine, à ce rythme de ralliement, à la fin, la fine fleur progressiste risque de se retrouver sur la grève, frétillante et suffocante.
S’il est encore besoin de le préciser, les études sociologiques sur le sujet existent, les chercheurs aussi. Il est important de lire chacun des mots de la conclusion d’un article de L. Mucchielli sur les clichés de l’immigration et de l’insécurité :
“Ces pratiques (la délinquance) et ces éventuelles carrières (délinquantes) ne s’observent de façon spécifique (par rapport aux autres catégories de la population) que dans certains contextes locaux où les processus de ségrégation et de discrimination se cumulent et s’enracinent dans la durée, se transmettant entre générations. Pour le reste, les éléments déterminants de la délinquance juvénile des étrangers résidants en France et des Français nés de parents étrangers demeurent des problèmes familiaux et scolaires qui ne sont pas propres à ces populations, mais semblent au contraire comparables aux problèmes posés jadis par des populations françaises issues de l’exode rural ou par d’autres populations ouvrières étrangères en période de crise économique.”
Émerge alors une question cruciale sur les termes du débat et la liberté d’expression. Comment se fait-il que la proposition en vingt-cinq mots* d’E. Zemmour fasse le tour de l’hexagone alors que la conclusion en six cent cinquante autres de L. Mucchielli ne soit pas perceptible ?
Qui donne la parole à qui et dans quel sens ?
La France est traversée par des soubresauts régressifs qui influent massivement sur la qualité du débat public. P. Bourdieu avait déjà perçu la “force” des “fasts-thinkers” capables de résumer des rudiments d’analyse en quatre phrases déclamées. Une sorte de quintessence communicationnelle de la forme balayant le fond. Aujourd’hui la scène médiatique se compose largement de zélateurs de cette dé-évolution. Pas une émission sans le subversif de service qui fera un sort aux féministes, aux antiracistes, aux “partageux”. Une panoplie complète de bons clients prêts à vociférer sur les ondes pour le plus grand plaisir d’un public sidéré, accoutumé. La télévision traite du passé colonial, P. Bruckner s’invite pour servir sa soupe antirepentance. La radio traite de l’insécurité, I. Rioufol fait la retape sur les amalgames culturalo-nationalistes et sécuritaires ou E. Levy proposera une intervention militaire en banlieues. Ou sur des questions économiques, le panégyrique de la barbarie par N. Baverez. Un canevas d’invités calibrés, dans l’air du temps : Celui d’une omniprésence dans une France pré-frontiste.
La domination des réactionnaires n’est pas (seulement) le fruit d’une perte d’influence de ce qui pourrait être “la gauche”. Les propositions structurées existent. Elles ne cadrent pas avec l’organisation et la sémantique inhérente à l’environnement médiatique actuel. E. Zemmour renversera toujours L. Mucchielli, non pas parce qu’il est plus pertinent, mais parce qu’il n’est pas isolé. L’un participe à la résurgence d’un courant régressif massif à l’œuvre jusqu’au sommet de l’État. L’autre ne figure sur aucun listing prestigieux et traine comme un boulet son statut de sociologue. La différence entre les deux propos, la haine. La démonstration du caractère de plus en plus abrasif de la société (ou d’une vision majoritaire de la société) pour une partie de la population : Les racisés et les discriminés. Cette violence vaut-elle un procès ? Probablement.
*dont le salmigondis cocardier qui l’agrémente ne tempère nullement la violence.
(à suivre…)
Vogelsong – 20 janvier 2011 – Paris