Quelque soit notre manière de l'aborder, nous avons tendance à considérer le capitalisme comme un objet extérieur que nous subirions plutôt que comme le produit maîtrisé de notre activité. Il semblerait en effet que le capitalisme soit l'enfant émancipé de l'homme, ayant désormais sa propre vie, loin de celle de son créateur. Il n'est donc sans doute pas idiot d'identifier le capitalisme comme seconde nature, ayant son propre chaos, et sur lequel l'homme n'aurait pas la moindre maîtrise ; exactement comme la situation de l'homme pré-scientifique qui découvrit son impuissance face aux phénomènes du monde. Les enjeux compétitifs et globaux sont aujourd'hui tels que l'homme, bien qu'étant son créateur, ne dispose plus de réel pouvoir sur le système capitaliste. Il se retrouve comme un Dieu qui aurait perdu le code ou la formule de l'univers qu'il vient de créer. Ainsi, je ne crois pas qu'il y aura un jour un accord mondial restrictif qui participera à transformer, de l'extérieur, le système capitaliste partagé par la plupart des grandes puissances du monde (la tendance dans ce qui est sans doute le dernier pays socialiste étatiste – savoir Cuba – est d'ailleurs à la libéralisation de certains secteurs d'activité, comme les salons de coiffure ou les services d'autobus[1]).
Le capitalisme est une puissance de vie. Il abrite en son sein : des êtres organisés (les organisations – entreprises, Etats, associations, etc.), des mutations (travail manouvrier/travail mécanisé, produit matériel/produit immatériel, etc.), des morphologies (structures hiérarchiques, structures en réseau, etc.), des luttes (prises de marché, rachats de concurrent, déstabilisation, etc.), des milieux (environnement concurrentiel, parties prenantes, etc.), … ; toutes les caractéristiques de la vie s'y retrouvent. Il n'est donc pas complètement incongru d'en appeler à l'un des plus grands penseurs de la vie pour aborder le capitalisme à savoir Henri Bergson.
Bergson a écrit un livre sur la vie et la manière de la penser qui s'appelle : L'évolution créatrice. Dans cet ouvrage majeur, l'auteur renvoi dos-à-dos les théories du vivant – des transformistes aux néo-Lamarkiens en passant par Darwin – pour dégager un concept central : celui d'élan vital. L'idée, pour aller vite[2], est que la vie ne peut être pensé que comme la continuation d'un élan originel, sans cesse créateur de nouveauté, d'où aurait émergé toutes les formes de vie passées, qui traverserait encore les formes de vie présentes, et dont la caractéristique principale serait l'imprévisibilité. Penser le capitalisme de la même manière ne me paraît pas dénué d'intérêt car le capitalisme semble également s'être développé – avoir évolué – à partir d'un élan originel, une explosion créatrice, qui a proposé et continue de proposer, de manière continuelle, des nouvelles formes, et de constituer des milieux mouvants d'innovation à mesure qu'il se déploie dans le temps.
À partir de là, une nouvelle grille de lecture du capitalisme peut se mettre en place. Celle par exemple de considérer notre système économique comme un mouvement continu originel qui progresse malgré nous et qui est créateur, qui se fait lui-même en avançant. Toutefois, il faut remarquer que nous ne sommes pas comme des vivants devant le spectacle de la vie ; nous restons des dieux créateurs pour notre économie. En effet, les entreprises, contrairement aux êtres vivants, ne se reproduisent pas. Il faut des hommes pour faire émerger de nouvelles organisations – de nouveaux organismes – bien que cette émergence se fait dans un cadre spécifique qu'est le capitalisme. L'homme est aux commandes du processus de la naissance dans le cadre capitaliste. De plus, ce qui est de l'ordre de l'instinct chez l'animal tombe sous le coup du travail humain dans l'entreprise : l'analyse de l'environnement, l'adaptation à l'environnement, la constitution de son milieu, etc., toute ses actions vitales ont besoin d'hommes et de de femmes dans l'entreprise en lieu et place de l'instinct de survie chez l'être vivant. Et de la même manière qu'un organisme vivant ne peut survivre que dans certaines conditions, l'entreprise est dépendante des éventuelles menaces ou occasions de prospérer que lui propose son environnement (voir l'analyse de gestion SWOT par exemple).
Si donc l'homme n'a pas ou plus de prise sur le système économique global, il peut et doit continuer à l'alimenter. L'ambiguïté est que désormais la survie de l'homme dépend aussi de la survie du système capitaliste et de ses formes de vie que sont les entreprises. L'homme a ainsi érigé la nature en artifice incontrôlable, complexifiant son milieu de vie pour en faire un nouveau monde. Il s'est en cela contraint lui-même, non content d'être soumis à une première nature – celle de la vie – il s'est enchaîné à une seconde – le capitalisme.
[1] http://www.come4news.com/cuba-premiers-pas-vers-le-capitalisme-139944
[2] La pensée de Bergson ne peut être séparée de sa théorie de l'intuition et de son concept central de durée. Il appartient au lecteur qui souhaite aller plus loin de s'approprier ces éléments en commençant par exemple par le premier ouvrage de Bergson : Essai sur les données immédiates de la conscience.
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