L'analyse des pouvoirs : proposition d'un nouveau modèle d'analyse stratégique

Publié le 15 décembre 2010 par _

   Je vais tenter ici de proposer un nouveau modèle d'analyse stratégique basé sur la notion de pouvoir. Je préviens d'emblée que cet article n'aura pour ambition que de poser les simples bases d'une méthode non encore testée et non de présenter un modèle opérationnel « clé en main ».

« PESTEL », « SWOT », « Porter » : des outils inutiles

   S'il y a un domaine peu enclin à l'innovation, c'est bien celui de l'analyse stratégique. Préférant la simplicité à l'utilité, les sacro-saint « PESTEL », « SWOT » ou « Porter » font largement école auprès des responsables de stratégie dans les entreprises ou sur les bancs des écoles de commerce1. Le problème est que ces modèles ne prennent en compte que des environnements statiques dans lesquels serait assuré une concurrence libre et parfaite. De jolies photographies donc, prises dans un joli décor. Mais l'écosystème stratégique est vivant, dynamique, imprévisible, et chaotique. Ce n'est pas le monde des bisounours, c'est un champ de bataille où s'affrontent des structures de pouvoirs. Ce dont la stratégie a besoin, ce n'est pas d'un paysage, c'est de leviers d'action. Où puis-je agir ? Comment puis-je agir ? Quels sont mes marges de manoeuvres ? Qui détient le pouvoir d'agir sur moi ou sur mon environnement ? Voilà, pour moi, ce que doivent être les questions stratégiques, et ce à quoi une analyse stratégique doit être en mesure de répondre. Or, les méthodes d'analyse de type « PESTEL », « SWOT » ou même « Porter » ne me semble pas en être capable.

Les trois pouvoirs

   Ce que je propose en matière d'analyse stratégique c'est une analyse des pouvoirs. Je considère en effet que l'écosystème stratégique consiste en premier lieu en un jeu de trois pouvoirs : le pouvoir politique, le pouvoir économique et le pouvoir social (je m'inspire ici notamment de l'ouvrage de Jean Lhomme : Pouvoir et société économique). Ces trois pouvoirs disposent de différents instruments de pouvoirs – dont les médias par exemple – qui agissent sur l'individu et les groupes ; individu et groupes pouvant eux-même être membres de structures de pouvoir politique, économique ou social.

 

   Les acteurs de chaque type de pouvoir peuvent être classés suivant leur intention hostile ou favorable envers l'organisation que l'on étudie. Par exemple, au niveau du pouvoir politique, ce peut être un législateur très engagé et très actif dans un domaine qui concerne l'activité de notre organisation. Ce législateur peut alors être défavorable à notre activité pour répondre aux préoccupations de son électorat (en matière d'écologie, de santé publique, etc.), ou au contraire favorable parce que notre activité crée beaucoup d'emplois dans sa circonscription.

J'entends par pouvoir économique, l'ensemble des acteurs économiques comme les entreprises. En ce qui concerne les acteurs du pouvoir social, ce sont les syndicats, ONG et toutes les actions spontanées ou préparées de la société civile2.

   Je considère que les médias sont des instruments de pouvoir et non pas un type de pouvoir particulier car, si on définit le pouvoir de manière minimale comme un dispositif permettant à celui qui le possède d'engendrer des changements voulus et maîtrisés sur son environnement, il est clair que les médias ne disposent d'aucun pouvoir puisque les changements qu'ils peuvent éventuellement occasionner dans leur environnement ne sont pas du tout maîtrisés. Par contre, ils subissent la volonté d'autres pouvoirs que sont l'Etat, les entreprises et la société civile, qui disposent d'eux comme d'un élément de leur dispositif de pouvoir.

Le Modèle d'Analyse Stratégique des Pouvoirs (MASP)

   Je propose un modèle d'analyse stratégique en trois étapes permettant de décrire les jeux de pouvoir que subit une organisation et d'identifier les voies d'influence et d'action possible qui s'offre à elle. Pour cela, je me suis appuyé, en plus de mes réflexions personnelles et du contenu d'un cours de prospective que j'ai suivi dans le cadre de ma formation, sur plusieurs ouvrages : Jean Lhomme, Pouvoir et société économique, Cujas, 1966 ; Michel Foucault, Surveiller et punir, Gallimard, 1975 ; Michel Crozier, Erhard Friedberg, L'acteur et le système, Seuil, 1977 ; et Eric Delbecque, La métamorphose du pouvoir, Vuibert, 2009.

  1. 1. La première étape consiste à identifier les acteurs de chaque type de pouvoir et à les classer suivant leur intention (hostile ou favorable).

  2. 2. La deuxième étape consiste à identifier les instruments de pouvoir de chaque acteur

  3. 3. Enfin la troisième étape est la cartographie et la qualification des liens entre les acteurs identifiés

   Ce modèle d'analyse doit ainsi permettre d'élaborer un plan d'action/influence visant à accompagner une décision stratégique. Il ne s'agit donc pas de faire une photographie de son environnement, mais bien d'identifier des voies de transformation de cet environnement afin de se le rendre plus favorable. Pour plus de détails, le lecteur pourra se reporter aux slides à la fin de cet article.

   Remarquons pour terminer que ce modèle ne doit pas être exclusif et qu'il peut par exemple être utilement couplé à une analyse des risques. Ce modèle n'a en effet pas la prétention de fournir une analyse stratégique complète d'une organisation mais seulement de dégager le réseau de pouvoir dans lequel est prise cette organisation.

1Voir le principe de ces modèles d'analyse ici : http://bdc.aege.fr/public/Methodes_d_analyse_appliquees_a_l_Intelligence_Economique_Livre_Blanc_Icomtech.pdf

2Voir mon article : Syndicats, ONG, société civile : ennemis des entreprises ?

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