Le contraste était saisissant, mercredi 19 janvier en fin de matinée, entre les voeux que le candidat livra au « monde de
la connaissance et de la culture » et ceux qu'il avait réservé, la veille, au monde
agricole. La cause sarkozyenne est-elle à ce point perdue ? Aux agriculteurs, Sarkozy fut attentionné, son discours était préparé. Pour les enseignants, les artistes et les journalistes, il
fallait tous les mélanger et les parquer dans une grande salle prestigieuse pour éviter de s'adresser à chacun.
Tous parqués !
Mercredi, Sarkozy expédia sa prestation en à peine 30 minutes, alors qu'il avait pris soin d'inviter très largement des
enseignants, des chefs d'établissements, des chefs d'établissement, des journalistes, des patrons d'institutions culturelles ou d'entreprises de spectacles voire même des organisateurs de
festival. Un immense fourre-tout qui permettait d'évacuer les problèmes. L'immense salle du Grand Palais, juste de l'autre côté des Champs Elysées, en face du « Château » avait été
réservée. L'assistance se tenait debout, incommodée par l'attente de plus d'une heure, surprise par le froid, parquée par d'immenses cordons. Aucun siège n'avait été prévu. Sarkozy avait commencé
par une visite de la galerie Sud du Grand Palais, puis une rencontre à huis-clos « avec des personnalités du monde scientifique,
des responsables de musées et d'autres institutions emblématiques de la transmission de la culture et du savoir.» En bas de l'estrade, on trouvait l'habituelle brochette de ministres
concernés (Luc Chatel, Frédéric Mitterrand, Valérie Pécresse, Jeannette Bougrab), mais aussi son épouse Carla, le conseiller « spécial » Henri Guaino, son pro de la com' Franck Louvrier, la « cinéaste » Josée Dayan (hier pro-Ségolène Royal, aujourd'hui applaudissant les voeux d'un monarque usé), des recasés comme Xavier
Darcos (ex-ministre de l'Education et chargé de mission pour l'action culturelle extérieure de la France en juin dernier), ou Jean-Paul Cluzel (président du Grand Palais, éjecté de Radio France
en 2009). Sarkozy avait le traits toujours tirés, le visage exagérément souriant. A peine installé, il préféra abandonner son discours, alors que lors de tous ses voeux précédents, il s'était
appliqué à lire son texte.
Voulait-il paraître plus chaleureux ?
Que des problèmes...
Le contexte n'était pas favorable, mais les sujets ne manquaient pas. Les principaux syndicats de l’éducation nationale (FSU,
Unsa, Sgen-CFDT, Snuipp, SI.EN-UNSA, SNESUP) boycottaient l’invitation : « Sans précédent, la pulvérisation de l’Enseignement Supérieur creuse les inégalités entre collègues, équipes,
établissements et territoires. Elle risque de laisser de côté de larges pans de la connaissance, en particulier les Lettres, Langues, Sciences Humaines et Sociales, et fragiliser des pans entiers
de formations dans toutes les composantes (UFR, IUT, IUFM…) » ont-ils écrit lundi. La loi Hadopi est entrée en vigueur en septembre dernier, et la loi Loppsi II
débute son examen au Sénat, mardi 18 janvier. Les sénateurs ont d'ores et déjà
validé l'usurpation d'identité (punie de deux ans de prison et de 20.000€ d'amendes), et le filtrage administratif des sites Web (i.e. par le ministère de l'intérieur, sans décision de justice).
Le relèvement de la TVA sur les offres « triple play » a mécontenté les fournisseurs d'accès à internet. Le conseil de la création artistique, placée sous sa directe autorité, fondé
voici deux ans, a disparu. Sarkozy parle, mais Henri Guaino n'écoute pas.
Sarko l'esquive
Sarkozy fit d'abord l'éloge de la transmission de la connaissance et de l'émotion, rappela « la crise la plus grave
depuis un siècle ». On en oublierait presque les deux guerres mondiales et leurs trente millions de morts... « La réponse de la France à la crise sera de continuer à investir dans
la culture, la recherche et l’éducation. Nous allons multiplier les initiatives », a-t-il promis. Il s'enthousiasma pour le nouveau musée Beaubourg de Metz, puis et celui, à venir, d’un
Louvre à Lens en 2012. Il félicita Frédéric Mitterrand pour le dispositif cinélycée, commettant un joli lapsus de négligence («
cinecinema »). Il en souhaita l'extension aux spectacles vivants.
Il enchaîna ensuite rapidement sur l'enjeu éducatif, la qualité plutôt que le nombre. Une façon de répondre aux critiques
contre la réduction des effectifs enseignants depuis 2007. Il rappela prudemment que leurs effectifs avaient cru de 45.000 quand le nombre d'élèves baissait de 500.000 dans les 10 dernières
années. Il se félicita d'avoir augmenté d'un milliard d'euros depuis 2007 la rémunération des personnels de l'Education. Le candidat parla de la « mastérisation » des enseignants. Pour lui, cette
réformette a permis de relever le niveau de recrutement de tous les enseignants au niveau master 2 (bac+5). Mais la formation pratique a disparu. « Il y a notamment toute la question de la
formation pratique, je pense qu'il ne faut pas avoir peur d'améliorer en permanence notre système. » Sans blague... L'homme qui fait la déclaration suivante est celui qui surcharge les
classes : « Mon souci, c'est de mettre devant nos enfants des professeurs mieux formés, connaissant mieux leur matière et mieux formés à l'enseignement d'une classe d'âge
tellement diverse et parfois si difficile, avec la question centrale du niveau de rémunération.»
Internet, connait pas
Sur la « régulation » d'internet, Sarkozy esquiva carrément la polémique. Pas un mot, notamment, sur la loi Loppsi
II, en cours d'examen depuis la veille au Sénat, ni sur Hadopi. Tout juste se permit-il de louer « l'Internet civilisé, et non l'Internet régulé », un propos confus et sans grand
intérêt. « Il y a eu beaucoup de malentendus ». Lesquels ? En bas de l'estrade, sur sa droite, Carla bruni-Sarkozy pointe déjà du nez, se cache sous ses cheveux, et regarde longuement
ses pieds. Le candidat ne promet pas de nouveau débat, ni de bilan. Il assène quelques généralités connues. « Internet met à disposition de chacun la connaissance de tous. C’est un progrès
qui ne doit pas se faire au détriment des droits d’auteur. » Ou encore : « Le jour où l’on ne rémunère plus la création, on tue la création.» Il lance l'idée d'un G20 des droits
d'auteur sur internet : « Je souhaite qu'avant le G20 à Cannes (3 et 4 novembre), il y ait un sommet des pays du G20 sur la question des droits d'auteurs, pour que nous essayions d'avancer
ensemble, pas les uns contre les autres mais les uns avec les autres.» Mais la proposition a peu d'intérêt : la lutte contre le piratage des oeuvres sur le Net concerne moins les pays
membres du G20 que les sites « offshore ». Il assure que le budget de la Culture et de la Communication ne sera pas gelé. Le monde de la connaissance (i.e. l'éducation) sera ravi de
l'apprendre.
Sarko l'esquive (2)
Au « monde de la connaissance de la culture », Sarkozy n'a pas évoqué le classement sans suite par le parquet de
Paris, c'est-à-dire le ministère de la Justice, de
la plainte du quotidien le Monde contre l'espionnage de l'un de ses journalistes, Gérard Davet, dans le cadre de l'affaire
Woerth/Bettencourt. Cet espionnage était doublement illégal, violant la nouvelle loi sur la protection des sources et la procédure d'autorisation de ses écoutes. Le Monde explique
qu'il a saisi, le 10 janvier, le doyen des juges d'instruction pour que la plainte soit confiée à un magistrat indépendant.
Au « monde de la connaissance de la culture », Sarkozy n'a pas non plus évoqué le curieux projet de son
ministre-vassal Eric Besson, de fusionner les autorités de régulation de l'audiovisuel et des télécoms, ARCEP et CSA. Le fameux Conseil de la création numérique évoqué voici quelques semaines
quand Sarkozy déjeuna avec 8 personnalités du Web ne fut même pas évoqué. Sarkozy s'en souvient-il ? Le Monarque paraissait ce mercredi incroyablement
dilettante.
Sarkozy et les erreurs
Regardant Luc Chatel puis Valérie Pécresse, il se félicite de l'autonomie des universités et suggère celle des lycées. On croit rêver. La proposition passera inaperçue dans les commentaires médiatiques ultérieurs. Approchant de la fin d'une courte intervention qui
n'avait que trop duré, il refait l'éloge de la réforme et de l'audace : « donner de la France l’image d’un pays qui s’ouvre, y compris avec la polémique, pas celle d’un pays replié.
L’important, c’est d’avoir de l’initiative. Et si on s’est trompé, et bien on change et ont fait autre chose! » Avez-vous déjà entendu Nicolas Sarkozy reconnaître une seule de ses erreurs,
nombreuses ?
Avant de conclure son intervention, Nicolas Sarkozy s'attarda sur deux polémiques récentes. On attendait quelques remarques
sur la durée du travail, la précarisation de la société, les difficultés de l'enseignement, les classes surchargées. Sarkozy préféra évoquer .... la création contestée du musée de l'Histoire, et
la vente annoncée de l'Hôtel de la Marine. Quels sujets ! « Faut-il qu'on aime l'histoire dans notre pays pour avoir assisté à ce foisonnement de tribunes passionnées et souvent
passionnantes. Faut-il une Maison de l'Histoire, y a-t-il un risque d'histoire officielle, y a-t-il un risque de récupération de l'histoire pour les uns ou pour les autres ? »
Il pu aussi abondamment plaisanter sur la présence « indispensable » de l’Etat-Major de la Marine place de la
Concorde , un « bord de plage bien connu », d'où on ne voit que quelques péniches et bateaux de tourisme, pour s’étonner ensuite du « nombre de coups de téléphones et
de lettres enflammées » qu’il a reçu depuis l'annonce. Pour clore la polémique, Nicolas Sarkozy a déclaré vouloir mettre en place une
« commission composée de gens indépendants pour voir quelle est la meilleure utilisation de l’Hôtel de la Marine ». Ces deux allusions clôturaient parfaitement ses voeux bâclés
: deux histoires anecdotiques pour occuper le terrain
Quelques
heures plus tôt, Nicolas Sarkozy s'était contraint à un commentaire sur la situation tunisienne, après le faramineux fiasco de la diplomatie française : « Notre souhait le plus cher
est que cette évolution se fasse sans drame supplémentaire et que les Tunisiens, après avoir mis fin avec courage et dignité à un régime qu'ils rejetaient, trouvent le chemin d'une transition
pacifique et exemplaire afin qu'une démocratie solide et durable s'instaure en Tunisie. »
Bel effort.
Sarkofrance