Pendant plus de deux cents pages nous suivons les déambulations de l’Enquêteur dans une entreprise tentaculaire où il est chargé de découvrir la cause des 23 suicides qui viennent de s'y produire. De lui on ne saura que peu de choses : "C'était un homme de petite taille, un peu rond, aux cheveux rares." Adulte banal, plein de bonne volonté, soucieux de remplir la tâche qu’on lui a confiée, il ne rencontrera que des personnages aussi abstraits que lui, des sans nom, juste des fonctions, Le Policier, le Serveur, le Guide, Le Fondateur, bref des employés, tous solitaires, déboussolés, dépersonnalisés, déshumanisés qui ne comprennent rien à ce qui se passe vraiment mais qui exécutent ce qu’on leur demande en bons petits soldats.
La ville où il arrive un soir est elle aussi sans nom, sans âme, sans vie. L’entreprise est fermée, les rues sont vides et il pleut sans cesse. Il échoue où il peut, dans un immense hôtel étrange, sans cohérence, où les fenêtres sont murées, où on lui refuse tout ce qu’il demande pour l’accorder aux autres clients, où tout va de travers et d'où il aura beaucoup de mal à s'échapper!
Très vite j’ai compris que ce n'était pas réellement un roman que je lisais mais bien ce que je n'apprécie pas outre mesure: une fable moralisatrice dans laquelle l’auteur dénonce la déshumanisation du monde moderne, où la technique remplace l’homme, où personne ne sait d’où viennent les ordres, où chacun finit coincé dans sa boîte, physiquement, sans pouvoir en sortir, sans possibilité de communiquer avec ses semblables, eux aussi prisonniers de leurs propres boîtes, tous pris au piège mais de qui? De quoi ? Pourquoi? Même le Fondateur ne sait plus ce qu'il a fondé! Ce n'est même pas un complot! "Clac". - "Plus rien."J’ai déjà lu ce discours. Je suis dans le monde de Kafka ! Impossible de ne pas y penser! Non que je ne sois pas d’accord avec ce constat, au contraire, là n'est pas la question... mais quel ennui de lire un récit si déprimant, si lourd, si froid, si peu inspiré ! J’ai fini par sauter des pages et terminer en lecture rapide, sans aucun remords.
D'autres avis: Rendez-vous manqué pour Clara . Impossible de croire à ce roman pour Passouline, Bellesahi a été décontenancée et se demande encore si elle a aimé ce livre! Fattorius, lui, l'a aimé, ainsi que tous les journalistes dont certains se sont montrés si dithyrambiques que le doute m'a effleuré un instant que - " Mais non! C'est impossible! C'est du Philippe Claudel, donc c'est un chef d'œuvre, voyons! Ce serait sacrilège de dire le contraire!"
De l'auteur, j'ai aimé trois de ses livres précédents et j'en aimerai encore bien d'autres sans doute mais celui-ci, non, vraiment pas, merci! L’Enquête de Philippe Claudel. Éditions Stock, septembre 2010, 281 p.
Citation qui résume peut-être le mieux le propos de ce livre.
«Je ne pense pas, on pense à travers moi ou plutôt on me pense. Je n’ai la possibilité d’aucune initiative. On me fait croire que j’ai une Enquête à mener. En vérité il n’en est sans doute rien. Je suis ballotté, chahuté, froissé puis caressé, bousculé puis remis droit. On me place et on me déplace, on m’interdit de traverser une rue, ensuite on m’ouvre le chemin, on me sourit, on m’étreint, on me réchauffe pour me précipiter, à la minute suivante, contre un mur. (…) On m’écoute patiemment pour m’abandonner plus vite à mon sort. Quelle justification chercher à cela?» (p.236/237)