Un éphèbe est retrouvé mort dans les rues d'Athènes. Son ancien mentor à l'Académie sollicite les services d'un fin limier : Héraclès Pontor, le déchiffreur d'énigmes. Le philosophe platonicien et cet Hercule Poirot à l'antique s'emploient avec passion à trouver la Vérité et, accessoirement, le coupable. Car la joute philosophique se superpose à l'investigation policière, tandis que les crimes s'enchaînent.
L'histoire de ces crimes est aussi l'histoire d'un manuscrit qu'un traducteur retranscrit sous nos yeux, l'annotant inlassablement en pensant l'éclairer, ignorant que son destin de personnage est d'établir la revanche de la littérature sur la philosophie, de démontrer que seule la fiction contient toutes les vérités du monde.
…Je crois qu’il s’agit là d’un des mes plus grands coups
de cœur de lectrice ! La Caverne des idées est un livre incroyablement malin et original, jubilatoire du début à la fin, et qui ne ressemble à aucun autre (quoiqu’on pourrait le
rapprocher, en prenant des pincettes, de certaines nouvelles de Borges, ou de la Maison des Feuilles de Danielewski)...Autant vous le dire tout de suite : il me semble impossible de le
résumer d'une manière satisfaisante, mais voici quelques éléments qui, j'espère, vous encourageront à faire la seule chose qu'il y a à faire face à une telle merveille : lire ce livre
!!
La Caverne des Idées est d’abord un réjouissant thriller à la sauce grecque antique : un duo à la Laurel et Hardy, composé de l’obèse et ultra-rationnel Héraclès Prontor, dont le métier est Déchiffreur d’Enigmes (avec les majuscules s’il vous plaît !) et de celui qui l’emploie, Diagoras, professeur de la victime à l’Académie de Platon, enquête sur l’atroce meurtre d’un jeune homme, bientôt suivi d’autres crimes révélant l’existence de… certaines pratiques assez inattendues dans la Grèce blanche et pure que l’on imagine, mais dont je ne dirai évidemment rien de plus. Rien que cela vaudrait le détour, car l’intrigue est bien ficelée, intéressante, et, surtout, les personnages d’Héraclès et Diagoras incarnent deux branches très différentes de la pensée grecque, que l’auteur fait dialoguer d’une manière habile, à la fois comique et instructive : leur manière d’enquêter correspond toujours à leur manière de penser.
Mais là où le livre devient franchement génial, c’est dans sa construction.
En effet, le texte est continuellement annoté par son traducteur, fictif, dont on apprend qu’il cherche à perfectionner une première version exécutée par un autre traducteur du nom de Montalo. Ce traducteur décèle dans le texte, à la suite de ce fameux Montalo, un procédé (totalement inventé pour l’occasion d’ailleurs) appelé « eidésis », et consistant à dissimuler dans chaque chapitre une image dominante : le lecteur doit la détecter, rassembler les images cachées dans chaque chapitre pour accéder à une second niveau de lecture du texte, à une sorte de sens secret et occulte… Soit dit en passant, le mot « eidésis » est bien sûr formé sur « eidos », qui correspond en grec à l’Idée platonicienne : la Théorie des Idées de Platon sert en effet de fil rouge au livre, dont le titre est directement inspiré de l’Allégorie de la Caverne que présente Platon dans la République… Mais je reviens à mes « eidésis » : chaque chapitre va être réellement dominé par une image sans aucun rapport avec l’intrigue, et dont le traducteur fictif va nous aider à saisir le sens. Cela donne au lecteur la délicieuse impression de chercher un trésor caché parmi les pages du livre, et cela donne lieu également à des images singulières : des juments dévorant tranquillement de la chair humaine dans le jardin de l’Académie de Platon, par exemple…
Autre élément génial, l’intrigue liée au crime et l’intrigue liée au traducteur vont petit à petit se rejoindre, d’une manière extrêmement troublante et brillante, pour en arriver à une réflexion magistrale sur la littérature…que le lecteur vit non pas comme une leçon mais comme une expérience de pensée inédite, directement liée d’ailleurs à la chasse aux « eidésis »…
Je ne peux guère en dire plus sans en dévoiler trop – et
j’espère que cette présentation est à peu près claire, c’est un livre très difficile à résumer à cause de sa construction labyrinthique et de l’expérience de lecture vraiment singulière qu’il
propose -, mais, en un mot, il s’agit pour moi d’un livre unique, exceptionnel, à côté duquel il ne faut pas passer ! Et je pèse mes mots...