Et si les Américains, à cause d'une minuscule météorite qui aurait transpercé la coque de leur module d'alunissage, n'avaient pas été le premiers à poser le pied sur la lune ? Si les russes, au contraire, y étaient parvenus, quelle aurait été la donne sur la scène internationale ?
Si l'idée de départ est passionnante, le traitement qui en est fait ici est loin d'être à la hauteur des attentes. Là où la curiosité et l'envie d'emprunter une route alternative de notre Histoire auraient dû être prépondérantes, c'est l'ennui qui s'est imposé. Lentement mais sûrement. La faute, d'abord – un d'abord qui, vous l'aurez remarqué, appelle un ensuite... - , à un scénario plat, vite expédié, et un poil trop simpliste par moments.
Suite au succès des russes, Nixon ne voit qu'un seul moyen de sauver la face et donner encore de bien belles années à la guerre froide : construire la première base lunaire. Quitte pour cela à revenir sur certains principes et ouvrir les vannes budgétaires. Dix ans plus tard, russes et américains se sont implantés sur le sattelite de la Terre et l'animosité qui oppose les deux peuples semble toujours aussi vive. En apparence seulement car sur la lune, justement, l'heure est plutôt à la réconciliation, et plus si affinités...
Même si les auteurs proposent un aperçu des dérives de l'Histoire en fin d'ouvrage sur des événements marquants qui se seraient produits plus tôt que dans notre « temps » à nous, la focalisation de ce Jour J : Les russes sur la Lune ! s'effectue principalement autour d'un épisode lunaire qui a de quoi laisser perplexe. En quelques mots, c'est lent, mou quand bien même il y a des scènes d'action, mais c'est surtout inintéressant au possible. Difficile d'y croire une seule seconde d'autant que l'espèce de message – nous sommes tous frères, nous humains, faites l'amour pas la guerre –, à défaut d'être traité avec subtilité, éclabousse comme un pavé dans la mare du convenu et revêt un aspect bien naïf.
Le dessin, comme cela arrive parfois, n'a jamais relevé le tout. Dans le cas présent, il a même enfoncé le clou. C'est vite devenu exaspérant de voir les humeurs des personnages entourer systématiquement leurs visages. Qui des éclairs pour exprimer la colère, qui des gouttes d'eau pour signifier l'étonnement ou la surprise. Je ne dis pas que le procédé n'a pas sa place en bande dessinée mais là, en plus de la surabondance, il ne me paraît pas approprié. D'autant moins si, comme cela semble être le cas ici, on veut inscrire son récit dans une réalité, fût-elle alternative. On pourrait ne voir en ceci que des détails. Le problème c'est que l'illustration dans sa globalité m'a paru bien pauvre, me donnant le sentiment qu'il a fallu aller à l'essentiel, faire vite, quitte pour cela à céder à la simplicité. Faut-il y voir là le résultat d'une commande, d'une pression relative au projet Jour J ? Peut-être, je n'ai pas les réponses à ces questions.
Je ne suis pas tendre avec cette Bande dessinée alors que, c'est vrai, l'uchronie a tout de l'exercice casse-gueule puisqu'il implique de prendre en compte un nombre incroyablement important de paramètres, et de les combiner ensuite pour leur donner et de la cohérence, et du souffle. Mais là, j'ai bien vite compris que ce ne serait pas le cas, que ces éléments seraient irrémédiablement absents. J'ai été apâté par un super scénario en quatrième de couverture, une superbe illustration en première (ah vous pouvez y aller, toutes celles de la série sont réussies, elles sont toutes signées Manchu) pour finalement me retrouver avec un truc bébête, écrit et dessiné à la va que j'te pousse, comme s'il était encore besoin de me prouver que ça existe. Je n'aime pas me faire avoir.
Jour J - 1- Les Russes sur la lune / Jean-Pierre Pécau et Fred Duval (scénario) ; Philippe Buchet (dessin), Delcourt, 55 p.