Par Vincent Berger Rond : J’ouvre ma section « Classiques de la littérature » avec un recueil de poésie québécoise plutôt inconnu. Il s’agit d’un choix purement subjectif qui m’interpelle par son désintérêt presque complet pour les thèmes de prédilection de la littérature et la culture québécoise (la mère, la famille, le quotidien, la vie sociale, les voyages, entre autres). Le style d’écriture de Surprenant s’éloigne également des diverses tendances que j’ai pu percevoir chez les poètes québécois de ma génération et de celle la précédant. Aucune trace de la poésie pop pleine de références connues par tous ou du minimalisme bon goût s’arrêtant au concept propre et immanquable à la lecture initiale des quelques vers de quelques mots par page.
Surprenant donne parfois l’impression d’écrire souvent pour perdre son faible auditoire. Comme chez tous les artistes que je préfère, je perçois dans son oeuvre un besoin d’expression personnelle profonde qui le pousse à se faire plaisir avant tout, l’empêche de se censurer là où il aurait parfois avantage à le faire pour gagner le respect des ses pairs et surtout du gouvernement canadien et ainsi gagner des prix ridicules pour encourager son initiative dans les nouvelles tendances explorées souvent exactement de la même manière ailleurs dans le monde.
Dans cette optique de censure, il importe de préciser d’entrée de jeu qu’un seul poème pousse l’écrivain dans la provocation populaire à la Serge Gainsbourg. Encore là, il y a cette manière de l’introduire juste au bon moment dans le recueil de manière à ce qu’il ne fasse pas grincer des dents. Ayant depuis abandonné la poésie pour la narration, Surprenant connaît bien les limites du médium et comprend à quel point un langage énigmatique cache souvent un désir très brut et souvent impossible à assumer en société. Dans ce constat rarement aussi bien admis ouvertement par un poète, le plus important demeure probablement cet autre désir d’ordre supérieur dans nos besoins, celui de repousser ses propres limites ; un désir encore intangible pour les autres dans notre vie quotidienne d’où l’aspect incomplet de l’observation et la description du monde extérieur tel qu’il apparaît au commun des mortels.
Cet aspect commun et banal, au lieu de le rechercher et de le valoriser, encore bien souvent la spécialité de la littérature québécoise à mon sens, Surprenant semble vouloir s’en éloigner de plus en plus dans son recueil Crevotements Émerdeillés. Dès le départ, il introduit dans ses textes des suggestions de créatures imaginaires et de détérioration de l’environnement. Plus tard, ses suggestions deviennent des créatures tangibles. Souvent il s’agit d’hommes à partir de sa perception. Le sujet de ses pòemes demeure ancré dans son quotidien, du moins à partir d’une apparente observation très pessimiste, mais souvent juste de la laide urbanité. Au fur et à mesure, les vers se concentrent sur la tension urbaine appliquée à la langue français et délaissent la description relativement réaliste de ce qu’un homme désabusé pourrait percevoir du monde autour de lui.
Le langage de Surprenant évolue vers l’abstraction dans une presque parfaite linéarité, mais pourtant sans jamais se laisser voir venir. Vers la dernière portion du livre, des images concrètes viennent clarifier des choses en nous, alors que l’on pensait Surprenant arrivé au point où il s’était finalement à jamais perdu dans des fragments de phrases et de mots brisés incompréhensibles et n’allant nulle part. Au départ, pour nommer des géants de la littérature, cette portion évoque un peu (seulement un peu) les phrases étourdissantes et schyzoïdes de L’innommable de Samuel Beckett ou Finnegans Wake de James Joyce sans les nombreuses références obscures et les mille et une langues intégrées. Dans d’autres mots, c’est toute la laideur de l’urbanité dans un monde où les mots ne suivent plus aucune règle clairement établie.
J’ai voulu citer et puis tout apparaît soudainement hors contexte. La lecture du recueil entier dans l’ordre est recommandée ! À noter que les premiers poèmes (en particulier le plutôt humoristique Les vers dans le cul – aux soirées de poésie) semblent avoir été écrits pour attirer l’attention rapidement. La suite me paraît bien plus représentative de l’écriture de Surprenant.
Personnellement, il s’agit d’un livre important pour mon cheminement personnel en tant que poète.
crevotements émerdeillés, 248 pages (2004)
par Stéphane Surprenant
Éditions Rodrigol
ISBN 2-9807888-3-X
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Par Vincent Berger Rond ©
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