2000-2010 : les leçons d’une décennie

1 – Vers un monde de crises ordinaires ?

Les études sont formelles, nous sommes l’un des peuples les plus pessimistes. Le pire est que personne ne sait vraiment pourquoi.

Mais, reconnaissons-le, il y a parfois de quoi nourrir ce pessimisme. La marche du monde semble, en certaines périodes, échapper largement au contrôle. En somme, les dirigeants du pays ne géreraient plus que les affaires courantes et la grande puissance que nous avons été, fière de son histoire, ne serait plus qu’une économie moyenne, comme beaucoup d’autres, ballottée de ci de là par les remous de l’Histoire.

Petit retour en arrière sur les crises de la décennie qui vient de s’achever.

- l’éclatement de la « bulle Internet », pour commencer – qui n’a pas empêché Internet d’envahir notre quotidien, faut-il le rappeler ;
- le développement d’un « terrorisme global » avec sa date inaugurale, le 11 septembre 2001, sa figure symbolique, Al Qaida, et en toile de fond, les guerres d’Afghanistan, puis d’Irak, et les ambitions concomitantes de l’Iran ;
- la crise des prix de l’énergie et des matières premières, reflet du développement accéléré des économies émergentes ;
- les crises environnementales, dont les plus visibles ont été récemment les déboires de l’industrie pétrolière en eaux profondes ;
- la crise climatique, désormais reconnue, avec son cortège de « phénomènes naturels exceptionnels » qui n’ont plus d’exceptionnel que le nom ; avec ses réunions internationales rituelles, aussi, dont chacun devine – quand bien même elles parviennent à sauver les apparences, comme à Cancun – qu’elles ne nous épargneront pas des coûts de réparation et de protection considérables ;
- la crise financière, enfin, puis économique, et enfin monétaire, commencée voici maintenant plus de 3 ans, qui n’en finit pas de se métamorphoser et dont nous avons du mal à voir le terme tant la gouvernance économique de la planète, et singulièrement de la zone euro, est balbutiante.
J’arrête là – comment être exhaustif ?

En un mot, il n’y a pas eu que des crises, bien sûr, mais il y en a eu beaucoup. Tellement, même, que la gestion de crise la plus commune à ces malheurs, c’est la gestion compassionnelle. C’en est au point que tous nos dirigeants devraient suivre d’urgence des stages de gestion compassionnelle.

Et nous savons déjà qu’avec le recul de quelques années, les réponses apportées nous paraîtront souvent – selon les cas – bien faibles, ou tardives, ou maladroites. « Comment, dirons-nous, mais quel aveuglement ! » Nous savons déjà que nous nous jugerons sévèrement !

Mais tout de même ! Ne pourrions-nous pas nous accorder quelques excuses à notre ignorance ?

- Ignorance des causes, tout d’abord. Beaucoup de décisions lourdes de conséquences pour les équilibres économiques, sociaux et politiques de la planète ne peuvent être prises que dans le secret : comment l’éviter ? Il suffit pour s’en convaincre de mesurer l’émoi suscité par les divulgations de Wikileaks.

- Ignorance des conséquences, aussi. Les « marchés » sont devenus tout-puissants mais illisibles pour une majorité et, dans nos crises « systémiques », la sophistication du système escamote non seulement les responsabilités, mais aussi l’ampleur des risques pris. D’une manière générale, d’ailleurs, la sophistication des techniques, dans tous les domaines, pousse très loin la spécialisation, donc l’ignorance du plus grand nombre. Ce qui réduit d’autant les possibilités d’observation et d’alerte.

- et puis, eh oui, il nous faut aussi compter avec notre ignorance …des chiffres ! Avons-nous, par exemple, assez pris la mesure, malgré même la crise de l’euro, des risques associés à l’énormité des capitaux qui circulent désormais toujours plus vite à travers la planète, dont la météorologie est de plus en plus imprévisible, et dont une grosse partie est totalement invisible ? Combien de centaines de milliards exactement faut-il prévoir pour assurer la stabilité de l’euro ? Les estimations varient du simple au triple. Nos experts sont-ils suffisamment au fait des paramètres déterminants de cette nouvelle économie financiarisée pour chiffrer les risques, donner l’alerte à temps, recommander des mesures suffisantes?

Alors voilà, donc : c’était une décennie très intéressante. Une décennie pour nous ouvrir les yeux, en somme. Pour bien commencer le siècle. Un peu inquiétante pour les plus pessimistes, certes. Mais aussi avec beaucoup de grain à moudre et de raisons d’espérer pour les optimistes. Mais oui, parfaitement ! N’oublions jamais que les crises sont subites et douloureuses, qu’elles suscitent le débat, tandis que les grandes tendances du progrès humain, considérées sans le recul du temps, sont parfois à peine visibles. Nous pouvons modérer notre pessimisme. J’y reviendrai. Et je donnerai des preuves !

Allons, souhaitons-nous une bonne décennie.

(A suivre)