J’avoue avoir été surpris par l’émergence de ce groupe que je pensais sorti de nulle part. Signé sur la nouvelle Mecque cold pop, Wierd records dont on consacre tout un mercredi de puublication, Frank (Just Frank) joue en réalité sa brutal wave depuis un petit moment. Après avoir prêché la bonne parole sur Paris en participant aux derniers concerts froids intéressants de la capitale (Xeno and Oaklander au Social Club, Automelodi au Klub), Frank Just Frank a publié il y a quelques mois son premier effort sobrement intitulé The Brutal Wave. Pop militaire et matériels analogiques sont notamment au programme de ces quelques questions.
Il me semble que ça fait huit ans que vous jouez ensemble ?
Chris : Tout à fait. FJF a commencé au lycée, quand on avait 16 ans.
A ce que j’ai compris, vous venez plus ou moins de la scène métal ?
Avant de former FJF je faisais partie d’un groupe de métal extrême qui s’appelait Gorgeous Infection. On s’inspirait de groupes européens de deathcore tels que Inside Conflict et Nostromo. Je côtoyais pas mal des gens de la scène extrême sur la Côte d’Azur, des groupes comme Imperial Sodomy, Artefact et Belëf. J’ai aussi assisté aux premiers concerts du groupe Svart Crown qui aujourd’hui sort son premier disque sur Listenable. Le milieu métal dans les alentours de Nice et de Cannes était très restreint mais assez agressif. Il y avait un label qui s’appelait Criminal Records et qui faisait venir chaque année des groupes de métal extrême dans le coin, et l’ambiance était très obscure et violente. J’étais aussi membre d’un projet black métal qui s’appelait Luci Tristis. Nous avons sorti une démo à 200 exemplaires qui est aujourd’hui sold out. Je suis assez fier d’admettre que Luci Tristis a bénéficié d’une certaine notoriété dans la scène mélancolique/dark métal en Europe.
KD ne faisait pas partie de groupes de métal, mais il composait pas mal de titres de black métal chez lui. Dans tous les cas, c’est lui qui m’a fait découvrir le métal en me passant une K7 de RATM quand j’avais 11 ans. Vers l’âge de 15 ans, c’est encore lui qui m’a fait tomber dans la musique extrême en me passant le Live Cannibalism de Cannibal Corpse. C’est un disque qui est d’ailleurs devenu assez populaire parmi les amateurs de rock dans notre lycée, haha.
La transition vers la touching pop que vous jouez actuellement a été progressive ?
Avant de parler de touching pop, je pense qu’il est important de préciser que nous avons d’abord découvert le post-punk et la new wave au lycée, pratiquement en même temps que nous sommes tombés dans le black métal justement. Personnellement j’ai commencé mon amour pour les sons synthétiques en découvrant Etienne Daho et Gary Numan. Par la suite, KD m’a introduit à Depeche Mode, The Cure et surtout The Smiths. Un soir, en écoutant Black Celebration dans la chambre de KD à Vence, nous avons décidé d’apprendre ce titre à la guitare et au synthé. Par la suite, nous avons naturellement essayé de composer quelques titres dans le même registre. Notre première compo était donc The Closet Song, et c’est ainsi que FJF est né.
Ce n’est seulement une fois que nous étions dans le processus d’enregistrer notre première compilation de démos (The Brutal Wave Demo) en 2007 que nous avons découvert la scène cold wave et touching pop française. A l’époque ça venait à peine de ressurgir grâce au travail acharné de labels tels que Infrastition et Wierd.
Je lisais une interview d’Automelodi qui disait que son approche de la musique n’avait rien de rétro. Il précisait qu’il fonctionnait de la même manière depuis pas mal d’années avec tous ses vieux synthés et ses boîtes à rythmes. C’est pour lui une démarche autant authentique que de jouer sa musique avec un Mac ou ce genre de dispositif.
C’est même une démarche bien plus authentique que d’utiliser un Mac. Perso, ça ne m’intéresse pas d’écouter des sons qui émanent d’un ordinateur. Avec un ordi on envoie des emails. Avec un synthé on ne peut que composer de la musique. Donc il est tout à fait logique que Xavier d’Automelodi utilise certaines machines spécifiques pour composer de la musique dite ’synth’. Après on peut en effet lui associer un son rétro sur quelques titres s’il s’agrémente d’instruments qui ont vu le jour dans les années 80. Mais justement son intention n’est pas d’avoir un son rétro.
Il faut se rappeler qu’Automelodi émane d’une nouvelle scène ’synth’ qui offre des sonorités qu’on ne retrouve pas forcément dans les années 70 ou 80.
Comment vous situez-vous par rapport à ça ?
Moi je vais te dire où je me situe par rapport à ça : récemment nous jouions avec une TR-707 sur scène. A Paris, elle a arrêté de fonctionner au bout du deuxième titre. J’ai passé les cinq minutes les plus misérables de ma vie jusqu’à ce qu’elle soit réparée… Pour une raison que j’ignore encore. Du coup, j’ai passé le reste du concert dans le stress, n’ayant aucune idée si la machine aller tenir ou lâcher. La même semaine nous avons joué à Lyon, où la boîte à rythme a lâché deux fois sur The Closet Song parce que je sautais sur scène. En plus de ça, cette machine est très grosse, et ne contient que deux sons différents de caisse claire et de grosse caisse. En gros, je préfère jouer avec des instruments numériques un peu plus modernes qui offrent des sons adéquats au style de FJF et qui bénéficient d’une certaine fiabilité, car ça me permet de me défouler comme je le sens sur scène, sans pépins.
Cela dit, il y a des groupes qui savent réellement gérer et utiliser les veilles machines analogiques, et qui en plus de ça apportent une approche originale à la manière de composer et jouer sur scène avec ces instruments. Je pense notamment à des artistes comme Martial Canterel. Je peux clamer haut et fort que Sean McBride est un génie de la manipulation analogique, mais aussi Ramiro Jeancarlo (Stacatto du Mal), Cheyney Thompson (Epée du Bois), Liz Wendelbo (Xeno&Oaklander) et Hayden Payne (Dream Affair). Moi je ne le suis pas, haha.
Vous pensez partager des choses avec des groupes français actuels ?
Je suis très ami avec Dolina, In Broken English et Dernière Volonté à Paris. Sinon je ne connais pas d’autres groupes en France qui partagent vraiment le même style que FJF. Il y a quelques labels intéressants qui sortent des groupes originaux comme Seven Sons ou Plastic Spoons sur Paris. Mais j’avoue que la plupart des groupes français que j’écoute aujourd’hui n’existent plus. Que ce soit dans la scène post-punk ou métal.
J’ai été frappé par le côté réducteur des références associées à votre groupe sur la blogosphère. Comment réagissez-vous quand on vous associe aux clichés des années 80 via des références qui ne volent pas haut ?
Ceci est tout à fait inévitable lorsqu’on on joue un style de musique qui s’inspire d’une autre époque : on va vous comparer aux noms les plus connus, parfois ringards de l’époque. En plus de cela, j’assume entièrement le fait que nous ayons d’abord été influencés par les plus gros noms de la new wave anglaise, et j’assume aussi entièrement le fait qu’on nous compare parfois à Indochine juste parce qu’on a des paroles en français. Ça vole peut-être pas haut mais les trois premiers albums d’Indochine restent des perles uniques de la synth pop européenne. Souvent on développe des préjugés sur un style de musique ou un groupe et c’est avec le temps que les gens comprennent qu’il y a quelque chose de plus profond derrière tout ça. Donc il se peut que bientôt les journalistes et les bloggeurs arrêtent de mentionner Clan of Xymox lorsqu’ils s’expriment sur les influences de FJF, pour privilégier des noms comme Asylum Party ou Absolute Body Control. Mais je t’informe tout de suite que ça me fait toujours chaud aux cœur lorsque les gens nous comparent à The Smiths.
J’aurais tendance à penser qu’à valeur égale, l’utilisation du français a tendance à discréditer les groupes pop l’utilisant. Ça n’a pas été un frein au moment d’enregistrer votre CD ?
Au contraire nous avons été encouragés à écrire aux moins trois titres en français. Le français dans les sonorités synth a toujours été une tendance et elle reprend beaucoup d’importance depuis ces derniers temps. A ce qu’il paraît, les paroles récurrentes en français dans nos textes - mais également chez Xeno&Oaklander (dont la chanteuse Liz a été élevée en Bretagne) et Automelodi (le projet de Xavier Paradis qui est québecois) - ont influencé toute une nouvelle génération de groupes new-yorkais à chanter en français. Il s’agit néanmoins d’une rumeur après tout donc je ne peux rien confirmer…
Je suis pas entièrement d’accord avec ta remarque. Le français a discrédité les groupes de pop parce que ça les empêchait de se propager sur le marché anglophone (et non anglo-saxon car les anglos-saxons n’existent plus) mais il n’y a jamais réellement eu de problèmes pour atteindre les charts en Russie, au Japon et dans d’autres endroits en Europe.
A ce sujet, avez-vous eu des retours sur le contenu de vos paroles voir de votre artwork ?
On nous a pas mal demandé de parler de notre artwork, mais pas tellement des paroles. Généralement c’est vraiment la musique même qui est au centre des discussions.
Personnellement, ça me rappelle l’esthétique de cette scène military pop, ces groupes comme Dernière Volonté ou les débuts de Death in June.
Je suis très flatté que tu nous compares à ces deux groupes car il s’avère que je suis un ami de Geoffroy D. de Dernière Volonté. Par ailleurs KD et moi sommes de grand fans de Death in June. Je comprends ta comparaison mais nous n’avions pas spécifiquement pensé à ces groupes en élaborant la pochette. En tout cas il me semble qu’il y a indéniablement un lien entre la scène synth et military pop/néo folk. Un de nos plus grands fans est Andreas Diesel, l’auteur de Looking for Europe. Chaque concert que je fais, ou chaque soirée synth où je me rends sur Paris, je retrouve toujours des t-shirts et des badges Death in June. Dasz de Dolina a même un poster de Douglas Pierce dans ses chiottes.
J’étais à votre récent concert au Point Ephémère. Les personnes avec qui j’ai pu discuter de votre prestation étaient interpellées par le décalage entre votre musique et votre attitude scénique, comme si jouer de la touching pop impliquait un certain maniérisme. Vous prenez en compte ce genre de remarques ?
Oui tout à fait, on nous a plusieurs fois fait la remarque. A ce qu’il paraît il est assez rare de voir des groupes de cold wave bouger comme nous sur scène, mais c’est marrant parce que KD et moi serions incapables de rester stoïques comme ça en live. Pieter, la personne qui gère le label Wierd, nous a toujours encouragés à être ‘heavy métal’ sur scène. Ca fait partie de l’univers ‘brutal wave’. On veut offrir quelque chose de frontal aux gens. Quelque chose d’un peu plus rentre dedans. A Lyon on a même réussi à faire pogoter le public !
Wierd Records semble être le centre névralgique de cette nouvelle vague cold pop. Vous les avez rencontré quand vous avez joué a NY ?
En fait c’est Wierd qui nous a fait jouer à NYC. Avant ça ils passaient notre démo chaque semaine à la Wierd Oarty au Home Sweet Home à Manhattan. Je suis heureux que tu constates que Wierd est un peu le fer de lance de cette nouvelle scène synth qui s’infecte un peu partout et qui attire beaucoup d’attention. Je suis très fier d’avoir signé chez eux, d’autant plus que ça m’a permis de découvrir toute cette vague de groupes new-yorkais qui maîtrisent le genre ‘cold pop’ de manière très distincte.
Comment les choses se passent pour eux ? De l’extérieur ça a un côté un peu moins communautaire qu’une structure comme Minimal Wave.
Pieter Schoolwerth, le gars qui gère Wierd tout seul, est vraiment débordé. Il est aussi peintre donc il partage sa vie entre sa peinture et son label mais je sais qu’il est en train de sentir que les choses décollent…Je ne sais pas si Minimal Wave est aussi communautaire que ça dans le sens où Veronica et Pieter sont amis et ont beaucoup collaboré ensemble.
Audio
Frank (Just Frank) - Valérie (tiré du split avec Soviet Soviet)