Rudy Baylor est en dernière année de droit, il vivote grâce à son boulot de barman pour payer son loyer et ses études. Tenu à l’écart par certains de ses camarades d’origine plus huppée il a un ami, Booker, un black marié avec deux enfants, qui lui aussi tente de passer l’examen de fin d’année. Obtenir son diplôme et se faire engager dans un grand cabinet d’avocats, tel est l’objectif de Rudy, mais les places sont chères et courues par tous les universitaires. Acculé par les circonstances et sans grands moyens, il ouvre son propre cabinet avec l’aide d’un compère un peu minable et sans diplôme mais assez malin pour dégoter de petites affaires de litiges entre accidentés et leurs assureurs.
Le hasard le met en présence d’un cas où un jeune homme atteint de leucémie en stade final aurait pu être sauvé par une greffe d’organe donné par son frère jumeau, mais l’assureur Great Benefit ( !!) détenteur de la police souscrite par ses parents, ayant refusé de payer les frais exorbitants d’une telle opération, il est désormais condamné à mourir dans les prochaines semaines. Rudy s’empare du dossier et va se consacrer entièrement à cette tâche titanesque, attaquer en justice une énorme boite d’assurance aux moyens faramineux, David contre Goliath.
Je ne vous surprendrai pas en vous révélant que le petit vaincra le géant, ce côté de l’intrigue est clair pour tout le monde avant même d’avoir entamé la lecture du bouquin. Toute l’intérêt du roman repose sur notre empathie, notre identification avec les personnages et la rage qui nous prend devant les magouilles organisées et calculées statistiquement par l’assureur pour ne presque jamais régler les factures grâce à des arguties juridiques qui le plus souvent imposent silence aux malheureux qui osent réclamer réparation.
Tout le monde adore voir le pot de terre vaincre le pot de fer, John Grisham l’a bien compris et il sait en manier les leviers. C’est le premier bouquin de cet écrivain que je lis, je ne pense pas (et j’espère pour lui) que ce soit son meilleur. Les détracteurs pourront avancer avec raison que Rudy Baylor malgré ses moyens inexistants n’a pas trop de mal à abattre cette compagnie d’assurances finalement, que John Grisham utilise parfois des ficelles trop grosses (le décès impromptu du premier juge qui était favorable à l’assureur), que l’intrigue sentimentale avec la jeune femme battue par son mari est assez simplette voire carrément fleur bleue et que ce n’est pas de la grande littérature. Oui tout cela est vrai, mais il faut aussi admettre que le roman se lit facilement, qu’il nous fait entrer dans le système judiciaire américain (un peu), que l’auteur s’est bien documenté et qu’il est assez malin pour y intercaler des péripéties secondaires qui étoffent et aèrent l’intrigue principale, enfin qu’il est impossible de ne pas hâter la lecture pour en arriver au dénouement final bien qu’il soit couru d’avance. Alors ? Ce n’est pas un grand livre mais c’est terriblement efficace et je pense que vu sous cet angle, il est à peu près réussi.
« Ainsi meurent les citoyens dépourvus d’assurance-maladie. Dans une société qui foisonne de médecins tous plus riches les uns que les autres, d’hôpitaux flambants neufs, de gadgets médicaux ultramodernes, dans cette pépinière de prix Nobel, la mort lente d’un Donny Ray privé de soins est extravagante, inique, scandaleuse. On aurait pu le sauver. Il avait le droit, un droit absolu, indiscutable, d’être pris en charge par Great Benefit quand il a contracté sa terrible maladie. Au moment où on a diagnostiqué la leucémie, il était couvert par une police d’assurance que ses parents avaient honnêtement payée. Great Benefit était tenue, contractuellement, de couvrir son traitement. Un jour, bientôt j’espère, je rencontrerai la personne responsable de sa mort. Qui que ce soit, modeste sous-fifre obéissant aux ordres, ou vice-président donnant les ordres. Je voudrais pouvoir prendre maintenant une photo de Donny Ray et la montrer ce jour-là à cet homme ou à cette femme pitoyable. »