Il y a encore quelque temps, qui disait Haendel pensait indigeste Messie ou musique d'artifices ou de feux d'artifices pour monarque absolument inculte. L'oeuvre de Georges Friedrich Haendel, cet européen avant l'heure (allemand, il va faire triompher l'opéra seria sur les planches londoniennes et finit par prendre la nationalité britannique tant il est aimé là-bas) ne cesse de révéler peu à peu ses joyaux. La seule Sarabande (utilisée dans Barry Lindon) résonne encore dans le coeur d'un large public pas forcément connaisseur. Alcina monté l'année dernière à l'Opéra de Paris ou encore Emmanuelle Haïm qui fait résonner aujourd'hui le Jules César en Egypte du maître triomphe . C'est même une première à Garnier où on a entendu le jour de la Première des youyous orientaux. Il faut dire que qu'on assiste à un spectacle d'une jeunesse et d'une vitalité exceptionnelles. D'abord musicalement : - la diva Dessay est , sur le plan vocal, dans la lignée des grandes, les Léontine Pryce, les Rénée Fleming , les Irmgard Seefried et j'en oublie... elle semble se jouer des difficultés de la partition et de ses " tubes" : du "vi adoro pupille" au "non disperar", du "piangero" au "venere bella". Sur le plan dramatique , elle fait plus Lydia que Cléopâtre. Quand elle incarne la Vertu, on est plus proche du New Burlesque que du Parnasse mais la Nave va dans le port d'Alexandrie....
Option "Castrats"
L'option castrat a été choisie et Lawrence Zazzo qui incarne César comme Christophe Dumaux (vipérin Ptolémée) sont des contre-ténors aux timbres étonnants. Nathan Berg ,basse vigoureuse d'Achillas fait trembler tous ces aigus dans le célèbre "tu sei il cor" . L'américaine Isabelle Leonard est un extraordinaire Sesto, notamment dans son premier aria "Svegliatevi nel cuore" plein de fureur et de maîtrise . A noter le Nireno , petit rôle mais superbement exploité (et immortalisé dans l'enregistrement de René Jacobs) par Dominique Visse qui ressemble dans la mise en scène de Laurent Pelly à un Numérobis tout droit sorti d'Astérix et Cléopâtre. Et l'orchestre rend à César ce qu'il convient de lui rendre , La Sinfonia du début de l'acte deux est exécutée avec fièvre et retenue. La sarabande lente qui précède le "vi adoro", jouée arpeggiando par les cordes, viole de gambe et théorbe, harpe est d'une délicatesse exquise et un enthousiasme constant insufflé par une Emmanuelle Haïm qui semble "possédée" par l'oeuvre dont elle connaît la moindre réplique (pendant la générale elle est même venue au secours à deux reprises de l'oublieuse Nathalie). Il faut pour être complet s'attarder un instant sur la mise en scène de Laurent Pelly. Une mise en scène sans complaisance, presque ascétique dans ses choix avec un parti-pris fort : l'histoire se déroule dans le département d'antiquités égyptiennes d'un musée (dont on verra par la suite qu'il est situé à proximité du site des Pyramides). Par ce tour de passe-passe drammaturgique, les personnages historiques évoluent au milieu des décombres et des ruines de leur environnement passé(tête monumentale de Pompée décapité, sculptures sans bras, restes de statues etc. toutes manipulées par une trentaine de figurants typés égyptiens avec des cordes , des diables et qui sont une présence contemporaine silencieuse de leurs ancêtres esclaves. ) Pour le spectateur, qui ne connaît ces loi ntaines civilisations que par leurs ruines, le décalage provoqué par la mise en abyme fait réfléchir à la notion de représentation. Même "sovrappozzioni" (aurait dit Deleuze) dans le harem de Ptolémée , où de jeunes femmes très typées orientales sont déguisées en marquises dix-huitième . Superpositions historiques encore, avec ces tableaux du début du siècle de la création de l'oeuvre (et dans lesquels figure Haendel lui-même ) et qui brassent dans un shaker habile non seulement les représentations à différents moments historiques de la grande histoire mais l'Histoire elle-même. A cela se superpose encore la mise en abyme du théâtre . Ces ouvriers du département d'Egyptologie qui déplacent les statues de la lointaine antiquité ne sont-ils semblables au fond aux techniciens qui changent les décors monumentaux de l'Opéra ?
L'oeuvre montre le travail. On est plus près de Godard que des peplums hollywoodiens.