Je me lamentais il y a peu sur la faible visibilité du lait (de vache ou maternel) parmi les fluides corporels utilisés dans l’art contemporain et j’ai donc été heureux, entrant dans l’exposition ‘Holy Daughters’ de la jeune artiste Prune Nourry (dans un lieu sans nom, 68 rue Léon Frot, 75011; jusqu’au 23 janvier seulement, ne tardez pas), d’y être accueilli par un bruit de trayeuses, bruit doux et régulier de la machine et du lait qui s’écoule. La première lecture de l’exposition se fait (pour un homme en tout cas) dans cette ambiance sensuelle oedipienne d’avant le sevrage, et cette sculpture au mur de l’exposition, un sein-pis, est bien faite pour une telle régression infantile entre féminité et fertilité, entre mammolâtrie et allaitement.
La plus jolie scène
est celle où, pour la fête de Holi, des jeunes filles, traditionnellement confinées à la maison, s’aspergent avec joie et insouciance de lait et d’épices autour de la statue accroupie dans une étable-hospice. Parmi les autres pièces, dont beaucoup ont une beauté clinique laborantine (ainsi, les photographies sont présentées sur des négatoscopes de radiologie), cette femme enceinte émergeant du mur (horizontale, elle semble flotter dans du lait) et sur le ventre de laquelle est projeté ce qui ressemble à une échographie, outil essentiel d’identification du sexe et donc de sélection, comme un écho tragique, a une présence ambigüe, inquiétante. À la sortie, pour revenir vers le sensuel, on vous offre un verre de lait et une friandise censée reproduire le sein de l’artiste. Outre cette friandise, Prune Nourry a le talent de savoir tresser, l’air de rien, érotisme et sociologie, ce qui n’est pas si évident.Photos 2, 3 et 6 de l’auteur.