La chorégraphe d'origine chilienne, Maria Ortiz Gabella, crée un spectacle sur l'histoire de son pays (photos Anthony Quindroit)
Du Chili de son enfance, Maria Ortiz Gabella n’en a que peu de souvenirs. Quelques vagues sensations, ses premiers pas de danse. Une photo aussi, qu’elle conserve précieusement : « Je suis entourée de mes parents, quelques oncles et tantes, des amis. Je suis la seule à sourire. » L’innocence de la jeunesse. La photo est prise après le 11 septembre 1973, date du coup d’Etat de Pinochet. Maria a à peine plus de trois ans. La politique, les Chicago Boys, la mort d’Allende… Beaucoup trop complexe pour une enfant.
Ces événements dont elle ne saisit pas encore la portée vont changer sa vie. Sa mère, comédienne et pro-Allende, doit prendre la fuite précipitamment sans même pouvoir revoir sa famille. Son père, artiste et, pis encore, communiste, doit lui aussi s’exiler. Direction l’Argentine puis la Roumanie. « En Roumanie, par hasard, un ami nous apprend qu’il a retrouvé ma mère. Elle était en France. » Un an a passé, c’est le temps des retrouvailles au milieu d’une communauté chilienne déracinée. C’est là, dans ce vivier de résistance festive et torturée, qu’elle a puisé la matière pour sa nouvelle création. Maria est chorégraphe. Au sein de la compagnie Arcane, elle crée des spectacles de danse. Turêvoukoi, Un ticket pour féérie… « Mon univers s’adressait surtout aux enfants », reconnaît la danseuse. Avec son nouveau spectacle, le Roi Général, elle offre plusieurs niveaux de compréhension. Un pour les plus jeunes. Un pour leurs parents.
Au cours d'ateliers de danse, Maria tente de faire comprendre aux enfants les notions de liberté et de totalitarisme dont s'inspire son "Roi Général"
Ce général, c’est Pinochet. « J’ai grandi avec des personnes qui ont dû fuir leur pays et dans un milieu artistique où les sentiments sont exacerbés. Ma mère portait toujours cette souffrance. Ce déracinement, ce déchirement dont on ne guérit pas. Les enfants vivent ça à travers leurs parents. J’étais une éponge. » Pinochet, ce nom revient sans cesse. Dans les réunions des « résistants », dans les actualités qui bercent sa jeunesse. Son pays, elle ne le connaît que par le prisme des médias de l’époque. « Je n’y suis retournée qu’après 1990 [à la fin de la dictature, NDLR], à l’âge de 24 ans. Je suis tombée des nues. » Peut-être s’attendait-elle à un pays en liesse. Elle découvre un Chili muet où le peuple ne parle pas des décennies passées. « Je n’y vais pas régulièrement (un silence). Je rêve d’y retourner… » Oui mais le pays n’a pas encore fait le deuil de l’époque pinochetiste. Le ton se fait plus passionné : « L’arrivée de Piñera au pouvoir, c’est complètement inquiétant. Nous, de l’extérieur, on ne comprend pas comment le pays peut balayer son passé sous le tapis. Il y aurait besoin que le peuple se regarde dans les yeux et se regarde dans le miroir… » Elle l’admet. Elle se sent française. Enfin, « Française au Chili et Chilienne en France. » Alors tout ce qui tourne autour la touche.
De cette expérience, cette vie même, elle a imaginé des danses contemporaines évoquant la liberté, la dictature, la liberté. Des pas de deux pour se confronter à ce passé. « J’avais besoin de me plonger dans la féérie pour oublier cette souffrance. C’est la première fois que j’ancre une création dans le réel. » Une performance à découvrir pour la première fois sur scène le 25 janvier au Sillon, à Petit-Couronne.
Avec cette nouvelle création, Maria souhaite parler aux adultes et aux enfants
« Le Roi Général », par Maria Ortiz Gabella (mise en scène de Franck Paitel, danseuses Marie Doiret et Maria Ortiz Gabella, création lumière de Fred Lecoq et musique d’Olivier Lecoeur). Le 25 janvier, au Sillon à Petit-Couronne (76), à 19h. Tarifs : 8 € et 3 €.