Un an après son biopic plutôt convenu de Nelson Mandela, Invictus, Clint Eastwood revient avec un film inattendu, déroutant et singulier.
Le nouveau film de Clint Eastwood, plutôt difficile à appréhender, est vendu pour ce qu’il n’est pas : un thriller fantastique. Car le surnaturel n’est ici qu’un simple prétexte permettant au réalisateur de prolonger une réflexion engendrée dans Gran Torino. Pour autant, Hereafter (titre original du film) ne parle jamais d’au-delà. Au contraire, tandis que le fantastique n’est ici qu’un artifice pour mieux toucher la vérité de l’être, le film évoque davantage l’angoisse de la vie que celle de la mort. Et c’est précisément sur ce point que Clint Eastwood surprend, en livrant un film tourmenté, noir et pessimiste.
Avec Hereafter, un tournant semble clairement s’opérer. Un indéniable malaise existentiel mobilisateur de nouvelles expérimentations succède à l’apaisement, la sagesse et la plénitude qui caractérisaient Million Dollar Baby, Gran Torino ou encore Invictus. Tantôt sublime tantôt bancal, l’ensemble laisse clairement le goût d’un film “mineur”. Et pourtant, si c’est peut-être effectivement le cas, Hereafter reste habité de grands moments de fulgurance comme on en voit peu au cinéma, tout en apportant la preuve que son réalisateur a encore beaucoup à exprimer.
Paradoxe de ce film ultra-personnel, et anti-hollywoodien dans la démarche : pour la première fois, Clint Eastwood fait appel aux moyens techniques d’un blockbuster pour reconstituer le tsunami ayant ravagé le littoral thaïlandais en 2004. Mais avec un budget de 17 000 000 $ alloués au film (à titre comparatif, L’Echange a coûté trois fois plus cher), difficile de produire un miracle et d’égaler Roland Emmerich, même le temps d’une scène. Le rendu, réussi lors de certains plans embarqués aquatiques, se révèle parfois plutôt mal foutu lors des vues d’ensemble de la vague géante. Mais au fond, peu importe. En balayant le cataclysme en 10 minutes, Clint Eastwood revient rapidement sur un terrain intime où il a toujours été plus brillant. Reste que là aussi, la déconvenue guette.
Construit sur le modèle du film choral, le scénario s’articule autour de trois personnages principaux vivant respectivement aux USA, en Grande-Bretagne et en France. Jusqu’au dernier quart d’heure où, comme le veut la logique du procédé, les pistes narratives finissent par se rejoindre, Hereafter peut presque être appréhendé comme l’imbrication de trois films distincts.
Le premier volet, se déroulant à San Francisco, s’articule autour de George, ouvrier mais aussi voyant. Un homme seul, dont le don l’empêche d’avoir une vie sociale et amoureuse épanouissante. L’humilité du personnage incarné par Matt Damon semble faire de lui le parfait compagnon artistique de Clint Eastwood. Le cinéaste filme sa solitude avec une retenue touchante et élégante, sans cesse emprunte d’une souffrance à peine dissimulée.
Le deuxième “film dans le film” se déroule quant à lui à Londres, pour l’essentiel autour d’un jeune gamin touché par le décès d’un être proche. Cette partie anglaise est probablement la plus réussie de toutes, permettant au réalisateur de confronter le monde de l’enfance et celui des adultes tout en posant la question du deuil. Sans oublier une séquence de rue mémorable où la caméra s’emporte et témoigne d’une virtuosité formelle sidérante.
Mais le bât blesse réellement dans la partie parisienne, où l’on suit le retour en France du personnage incarné par Cécile de France, rescapé comme par miracle du tsunami thaïlandais. De l’aveu même de l’actrice, Clint Eastwood souhaitait que les comédiens jouent dans leur langue natale et lui avait donc demandé de réécrire elle-même ses répliques originales en français. Résultat : des dialogues d’une platitude confondante, dont le cinéaste semble totalement se désintéresser au point – erreur symptomatique – de monter la musique par-dessus certaines conversations de comptoir. La totalité des scènes françaises, filmées sans verve et même parfois à la limite du ridicule, laissent particulièrement songeur quant à l’intérêt de Clint Eastwood pour ce pan de la narration.
L’absence de motivations se retrouve d’ailleurs accentuée par un désengagement plus global du réalisateur dans la post-production, notamment au niveau de la bande-originale composée par ses soins. La petite musique eastwoodienne, toujours reconnaissable à ses quelques bribes de piano ou de guitare, tient davantage du réflexe auto-référentiel que d’un réel support émotionnel. Comme si, perdu et sans trop savoir où il allait, le cinéaste s’était réfugié dans les automatismes qui le caractérisent.
Film malade, instable, Hereafter recèle au final de curieux symptômes relevant presque de l’autodestruction et d’une forme de suicide. Comme si Clint Eastwood sabotait lui-même son œuvre. Consciemment ou non. Quoiqu’il en soit, la réalisation imminente de son prochain film, J. Edgar (biographie d’Hoover avec Leonardo DiCaprio dans le rôle titre), permettra de savoir si Hereafter constitue un fascinant virage dans sa carrière légendaire ou s’il demeure une simple crise passagère avant un retour au classicisme eastwoodien tel que nous le connaissons.
En salles le 19 janvier 2011
Crédits photos : © Warner Bros. France