C'est la première fois que je viens. L'encens qu'elle a fait brûler me ravit. Odeur familière de l’opium que je capte dans ses cheveux, derrière ses oreilles, là où les effluves se mêlent à sa peau. Son baiser est bref, sucré, discret comme un point de suspension, prélude à d'autres qui viendront ponctuer par la suite des heures à venir.
Derrière nous, le jardin vibre. Bordant l’immense superficie du parc, de hauts murs vont jusqu’aux portes du fleuve. Souillés par le mascaret ils en épousent les eaux, plongeant par pans entiers dans une sourde écume brune. Les eaux de l'estuaire sont gonflées de ce même désir de vivre qui anime les hommes depuis des temps immémoriaux, leur font marquer la trace vive de leur passage, leur volonté pacificatrice par murs, terrasses et quais interposés, jusque dans les entrailles d’une mer ou d’un fleuve…
Je passe sous le mur blasonné, sous son calcaire blanc. J'entre. Comme j'entre en elle à chaque fois. Lentement. Avec une infinie douceur obligée, un émerveillement d'enfant devant cette fête renouvelée, matin de Noël à chaque fois… J'entre lentement et elle respire un peu plus fort. Je reste là, à l'entrée, en attente d'un signal de son visage qui va me dire de venir plus près, encore, plus avant, plus…
Elle me mène à l'intérieur de son manoir de Lammermoor où les chats ont pris racine : divans, chaises, recoins, placards et vestibules, tout est animalement habité, chaque geste que je fais déclenche une onde, une réponse, une vibration dans cette maison, comme tout à l'heure dans son lit, chaque mot que je dirai, chaque caresse que je lui porterai, chaque coup de rein que j'oserai, produira une réponse animale, sombre et vigoureuse à la fois, sauvage et soumise à la loi la plus impérieuse et juste qui soit pour elle : celle du désir.
Lucie est la seule femme qui m'aime et ce cadeau me délivre de moi-même, me donne les mots pour dire ce que je suis contre tout ce qui blesse et qui juge. Contre tout ce qui exige, que j’exècre et qui me tue.