Notre ministre des Affaires étrangères, Michèle Alliot-Marie, s’est plainte aujourd’hui devant la commission des Affaires étrangères de ce que ses propos ont été déformés. Reportons-nous donc à ce qu’elle a déclaré le 11 janvier en réponse à la question d’un député. Celui-ci s’étonnait de l’incohérence manifestée par notre pays qui appelle au respect de la démocratie en Côte d’Ivoire tout en restant muet devant la situation en Tunisie. Voici la conclusion de sa réponse : « Nous proposons que le savoir-faire qui est reconnu dans le monde entier de nos forces de sécurité permette de régler des situations sécuritaires de ce type. C’est la raison pour laquelle nous proposons effectivement aux deux pays [c’est-à-dire l’Algérie et la Tunisie] de permettre dans le cadre de nos coopérations d’agir en ce sens pour que le droit de manifester puisse se faire en même temps que l’assurance de la sécurité. »
Il convient de remarquer d’abord la clarté d’une expression riche de permission et de sécurité. Pour ce qui est de la qualité du français employé, notre ministre pourrait-elle nous éclairer sur ce qu’est « le monde entier de nos forces de sécurité » ? Comme il est vraisemblable qu’elle tenait à célébrer le savoir-faire de nos forces de sécurité qui est reconnu dans le monde entier, elle va sans tarder nous préciser sur quels faits, statistiques ou déclarations, elle fonde cette affirmation ? Si l’on comprend bien, son souci est de permettre à ces deux peuples de manifester en sécurité. Où se trouve la démocratie quand un pouvoir s’obstine à nier l’importance des manifestations et y demeure complètement sourd, comme en France ? Est-elle la plus apte à défendre le droit de manifester quand chaque voyage de son président s’accompagne d’un verrouillage du lieu visité, par des forces de l’ordre souvent plus nombreuses que la population autochtone, honorée par l’auguste présence. (Notez que, pour éviter toute confusion, l’adjectif auguste est bien doté d’une minuscule.)
Interrogeons-nous maintenant sur la forme de cette assistance. S’agirait-il de fournir une éducation ? Celle-ci est sans effet en période de crise, un délai étant toujours nécessaire entre la mise en place d’une formation et l’apparition d’éventuels effets positifs. S’il s’agit d’éviter les tirs à balles réelles, point n’est besoin d’éduquer ces forces. Il suffit de donner des ordres en conséquence et de sanctionner sévèrement tous les manquements. Ce qui est nécessaire, ce n’est apparemment pas une éducation mais plutôt une désintoxication, apprendre à des barbares que tuer n’est ni une satisfaction, ni une action digne d’éloge. Je précise que ce terme de barbare est également applicable à certains de notre côté de la Méditerranée.
S’il s’agit d’aider les forces locales, comment fonctionnerait-on ? En les conseillant à distance, en étant à leurs côtés pour les encadrer, comme des forces supplétives, ou à leur place ? Madame la ministre a-t-elle réfléchi, ne serait-ce qu’une seule minute, à ce qu’elle disait ? Au fait, si les événements n’ont pas laissé le temps de discuter de sa proposition avec feu les autorités tunisiennes, où en sont les discussions qui ont sans nul doute été entreprises avec l’Algérie pour assurer la sécurité de ses manifestants ? Non, on n’a pas déformé les propos du chef de notre diplomatie française. Michèle Alliot-Marie s’est rendue coupable d’une connerie énorme et impardonnable !