C’est reparti pour un tour ! Deux ans après son premier assaut, Michel-Edouard Leclerc revient à la charge en lançant une nouvelle campagne publicitaire réclamant le droit de vendre des médicaments à prescription médicale facultative et non remboursés dans les « coins pharmacie » de ses 140 grandes surfaces équipées, « sous le contrôle de ses docteurs en pharmacie« , tous salariés diplômés.
Une autorisation qui, promet Michel-Edouard Leclerc, pourrait faire baisser les prix de ces médicaments de 25 %.
Ce que réfutent les pharmaciens.
Une précédente campagne menée en 2008 lui avait valu un procès intenté par trois groupement de pharmaciens, qui avaient dénoncé « une campagne déloyale dénigrant les pharmaciens sous le faux prétexte de défense de l’intérêt général du consommateur« . Déboutés en appel après avoir obtenu en première instance l’arrêt de cette campagne publicitaire, les pharmaciens avaient décidé en avril 2010 de se pourvoir en cassation. Rappelons qu’en juillet 2008, la ministre de la Santé d’alors, Roselyne Bachelot, avait imposé aux pharmaciens de mettre devant le comptoir 245 médicaments à prescription facultative afin de faire jouer la concurrence.
Dans un communiqué paru jeudi dernier, Leclerc dénonce « Le prix d’un même médicament peut varier du simple au triple d’une pharmacie à l’autre, dans une même ville« , se basant sur les résultats d’une étude commandée au cabinet d’analyse économique Bipe. En décembre, l’association de consommateurs Familles Rurales avait également dénoncé « de forts écarts de prix » sur les médicaments, selon son propre observatoire des prix.
Etude du Bipe : des résultats sur mesure ?
Au moyen de pleines pages de pub dans la presse, le groupe Leclerc publie les résultats d’une étude du Bipe (également accessible sur http://sesoigner-moinscher.com/). La méthodologie mérite d’être explicitée : menée dans cinq villes (Clermont Ferrand (Puy-de-Dôme), Echirolles (Isère), Mont-de-Marsan (Landes), Rodez (Aveyron) et Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne)), dans 25 pharmacies de chacune des villes (les 25 plus proches, centrées sur l’Hotel de Ville), les produits n’ont pas été choisis au hasard : il s’agissait systématiquement, des produits en accès libre les plus vendus (en valeur) dans le pays : 30 ont été retenus, couvrant 10 classes thérapeutiques et 14 laboratoires pharmaceutiques.
Coté résultats, premier constat, d’une pharmacie à l’autre, les prix d’un même produit peuvent varier du simple au triple (en réalité, la moyenne se situe autour de 1.8 sur ces 5 villes). Ensuite, entre 2009 et 2010, les prix n’ont baissé que de 0,4 % alors que la vente libre était censée faire baisser les prix par la concurrence. En sachant que l’inflation, curieusement non citée a été de presque 2% pour cette année. Ce constat confirme ainsi les résultats d’une autre enquête, initiée par 60 millions de Consommateurs. Rendus publics en janvier 2010, ils montraient d’une « baisse » des prix de 0,3% . Dernière conclusion, »Lorsqu’un médicament est déremboursé -et ils sont de plus en plus nombreux- son prix augmente de manière significative« . Afin de l’illustrer, l’étude prend un cas particulier, les comprimés de magnesium déremboursés dont le prix a explosé de +46%, à prix d’achat constant.
Michel-Edouard Leclerc : « il faut une concurrence de réseaux; si on veut vraiment faire jouer la concurrence pour faire baisser les prix, il ne faut pas laisser les pharmaciens entre eux »
« Je ne suis pas anti-pharmacien et je ne demande pas la vente libre des médicaments », nous a confié Michel-Edouard Leclerc au cours d’un entretien. « Si nous repartons en campagne, c’est parce que nous pensons qu’il n’y aura une baisse des prix que s’il y a une concurrence de réseaux. Et non d’officines. A l’heure d’Internet, nous proposons tout simplement d’être un nouvel acteur de la concurrence et nous revendiquons le droit de vendre ces médicaments en accès libre dans nos parapharmacies. Lesquelles sont placées sous le contrôle de docteurs en pharmacie ».
A ses yeux, la vente de médicaments en accès libre dans la grande distribution entraînerait une baisse des prix d’environ 25%. Le président du Groupement PHR, Lucien Bennatan, regroupant 12% des officines françaises, le réfute. « La dispensation des médicaments par la grande distribution aura peut-être un impact bénéfique sur les prix, mais à court terme seulement. (En revanche), ils risquent d’augmenter fortement d’ici 3 à 5 ans ».
Pour Alain Guilleminot, de Loire-Atlantique, membre du bureau national du syndicat des pharmaciens de France, les arguments avancés par le distributeur ne tiennent pas la route. «C’est encore un coup de publicité et une nouvelle provocation, nous y sommes habitués».
« C’est une réaction corporatiste qui ne prend pas en compte les patients », rétorque M.E. Leclerc. « Il ferait mieux de fustiger ceux qui vendent beaucoup trop cher ! Encore une fois, les écarts de prix constatés dans l’étude sont vraiment hétérogènes, inexplicables et aléatoires ».
Quant au risque de contrefaçon, régulièrement mis en avant par les pharmaciens, Michel-Edouard Leclerc a une réponse toute trouvée : « Chacun sait que le vrai risque réside dans la vente sur Internet ». Laquelle à en croire les autorités françaises, serait quasiment inéluctable…
«Une dérive dangereuse»
La contre-attaque s’organise. Le syndicat des pharmaciens évoque le réseau dense des pharmacies qui contribue à l’aménagement du territoire et à l’accès aux médicaments pour l’ensemble de la population. «Les médicaments non remboursés représentent en moyenne 30 euros par an et par Français, ce n’est pas avec ces produits à faible coût que Leclerc va faire gagner du pouvoir d’achat aux consommateurs». Selon Alain Guilleminot, les parapharmacies de l’enseigne ne participeront pas aux services de garde de nuit et de week-end. «Et attention de mettre en danger les petites pharmacies de quartier et de campagne». Leclerc a tendance à oublier que les médicaments sont déjà en France parmi les moins chers d’Europe, et sans intervention de la grande distribution. « Un rayon de supermarché n’est pas une pharmacie. Les médicaments ne sont pas des produits de consommation courante« .
Michel-Edouard Leclerc estime que la vente des médicaments déremboursés dans les magasins est inéluctable. «Elle existe dans des pays comme l’Italie, l’Espagne où nous possédons des parapharmacies avec leurs diplomés, elle arrivera en France». Le distributeur use également de son pouvoir de lobbying auprès de la commission européenne.
Plusieurs remarques au terme de cet exposé des faits.
On peut s’étonner du choix des 30 médicaments les plus vendus -en valeur-. On aurait aimé avoir une idée des quantités et des produits alternatifs. Par exemple, dans les anti-acides, on trouve au moins 3 classes accessible sans prescription, dont les prix varient du simple au triple, pourquoi avoir choisi les plus vendus en valeur? et non en quantité? Mystère (tout relatif…).
Deuxièmement, venant du PDG convoitant depuis plusieurs années ce marché et se classant parmi les 10 plus grandes fortunes de France, cette image du preux défenseur du pouvoir d’achat des français n’égare personne. Cet altruisme d’apparence a du mal à occulter le raisonnement de base du financier cherchant à capter un nouveau marché très lucratif pour attirer le chaland dans ces centres commerciaux. On peut aussi craindre les supers promos : 1 boite de paracétamol achetée, 3 offertes ou les 24 pastilles pour la gorge offertes pour tout lot de 3 boites de Fervex. Ou comment créer un besoin là où il n’y en exsite pas. Jusqu’à preuve du contraire, les pharmaciens de nos officines ne sont pas dans cette logique. Et offrent à leur patient un service de délivrance de médicaments 24H/24 ainsi qu’un conseil permanent, une assistance d’urgence et de proximité. Les prix cassés à -25%, lorsque les services rendus ne sont pas les mêmes, s’apparenteront toujours à une concurrence déloyale faite aux pharmaciens titulaires de leur officine et dotés d’une responsabilité professionnelle. Sans compter que certaines classes en subventionnent d’autres. Ainsi, les déremboursés subventionnent souvent les remboursés…
Néanmoins, connaissant les difficultés financières croissantes de nombre d’officines en France et ne pouvant que constater l’incroyable diversité -non justifiée- de prix pour certains médicaments (un exemple coté dans une officine de Mont-de-Marsan, une même solution contre les mycoses des pieds pouvant aller de 4,90 euros à 13 euros…), et même s’il s’agit de cas très particuliers, il serait souhaitable que les officines fassent un effort pour lisser leurs prix par molécule, au risque que Leclerc gagne peu à peu son combat dans l’opinion et les couloirs ministériels.
D’autre part, à l’instar des laboratoires d’analyse médicale, forcés de se regrouper pour faire face à la baisse de nomenclature et au défi de la qualité tout en résistant à l’assaut des rachats par des investisseurs privés, les officines gagneraient à développer systématiquement des plates formes d’achat groupé mutualisées. C’est à ce prix que les officines française, dans un contexte de crise économique, pourront se permettre de rester indépendantes et crédibles. L’industrie pharmaceutique et ses prix de vente restent étonnamment à l’abri de tout ce tapage médiatique, il serait pourtant très judicieux d’une part de l’impliquer davantage dans la maitrise des couts et d’autre part, vérifier les marges exactes des pharmacies d’officine.
L’enjeu est énorme, puisque si Leclerc venait à gagner son combat, la dérive vers les médicaments remboursés lui serait aisément accessible, un précédent étant créé.
La santé n’est définitivement ni une marchandise ni un business comme un autre, aux professionnels de faire preuve de leur compétence et de leur détermination à rester indépendants et justes pour leurs patients.