Interview Robert Bruce (יd. Les Penchants du roseau) : « Bankster » est un amusement intellectuel, un pied de nez, un exercice pour l’esprit. »
«N’ayant hélas aucun talent pour le pinceau, la sculpture ou la musique, les pastorales de Watteau ou de Boucher, je dessine mes toiles, odeurs, couleurs et mélodies picaresques avec mes seuls mots, d’une plume balbutiante d’émotion.»
Photo du blog de Robert Bruce.
Robert Bruce, écrivain colporteur accompagné de son âne Platon, est en France unique en son genre. Récemment publié dans la collection « Petits penchants » des éd. Les Penchants du roseau, pour la nouvelle « Bankster », l’auteur signe là une histoire haut en couleur : l’écriture ciselée et les personnages dotés d’une connaissance aiguë de la rue, induit chez le lecteur, par ce contraste, un attachement aux héros présentés et un regard attendri sur leur vie, si atypique.
Un aperçu de son œuvre, conséquente : « Soleils » (Ass. Soleils, 1996) ; « Les Habits du Dimanche » (éd. L’Encre et la Plume, 2000) ; « Solo » (2000) ; « Praetium doloris » (2001) ; « Paroles d’homme » ; « Au pas de l’Ane » (bande dessinée) ; « « L’envie » ; « Les chemins d’Autrefois » ; « Poussières » (Lacour, Rediviva), « Par Monts et par Caux » Tome 1 et 2 (éd. L’encre et la Plume) ; «Cantiques à l’amour » (éd. L’Encre et la Plume) ; « L’Allumeur de réverbères » ; « Nouvelles du Pays de Cocagne » ; « La Grande Nuit » (2009) ; « Bankster » (éd. Les Penchants du roseau, 2010) ; « Un Café et l’Addition » (éd. L’Encre et la Plume, 2010) ; « La Cabine téléphonique (pièce de théâtre) ; « Les Bruits du Village » (févr. 2011)
Et les prix :
Prix de Jehan le Povremoyne (Cercle d’Etudes du patrimoine Cauchoix), 2005 ;
Prix Louis Bouilhet (Société des écrivains normands), 2006 pour les deux ouvrages : « Les habits du Dimanche et « L’allumeur de Réverbères » ;
Prix spécial du Jury (Société des écrivains normands), 2007 ;
Prix littéraire et nouvelles attribué par la Société Centrale d’Agriculture, 2009 ;
Prix de l’Académie des Arts, Belles-Lettres, et Sciences de Rouen (2010)
Blog de Robert Bruce : Robert Bruce, écrivain colporteur.
L’auteur a accepté, avec la délicatesse qui le caractérise, de répondre à quelques questions.
1. Savina : Que signifie exactement « écrivain coloporteur » ? Que cela implique-t-il ?
Robert : J’ai obtenu une carte officielle de colporteur établie par la Préfecture de Police de Paris. Ce document (maintenant abrogé) me permet de vendre mes ouvrages par les voies et chemins de France, sauf sur les sites classés monuments historiques. (Champs Elysées ou cathédrale de Rouen, par exemple)
L’idée de faire métier et marchandises d’ouvrages dont je suis l’auteur est la conjonction de plusieurs éléments à savoir : mon goût de l’indépendance, mon nomadisme avéré, le besoin pathologique d’écrire, et pour finir, un amour illimité pour les hommes, les animaux, la nature. N’ayant hélas aucun talent pour le pinceau, la sculpture ou la musique, les pastorales de Watteau ou de Boucher, je dessine mes toiles, odeurs, couleurs et mélodies picaresques avec mes seuls mots, d’une plume balbutiante d’émotion. Promenades et écritures, voilà mon art thérapie, et le pays de France mon lieu-dit.
2. Savina : Qui est Platon ? Que représente-t-il pour vous ? Quel rôle tient-il dans votre vie d’écrivain ?
Robert : Platon est un âne qui partage ma vie depuis plusieurs années. Il est un accident de fond de pâture, né de père inconnu. Dès que je posai mes yeux la première fois sur ce petit âne, il me fixa comme seuls savent le faire les animaux, de ce regard profond, luisant, rempli d’une si folle espérance que je suivis ma ligne de cœur, ce plus profond de l’intime, et craquai sur-le-champ. Notre amitié naquit de cette rencontre. A ma question sur la sociabilité de l’animal, le marchand affligé d’un léger chuintement répondit : Aucun problème, au dernier Noël, il a participé à la crèche vivante dans l’égliche de Chainte Geneviève lors de la messe de minuit. Pour vous donner une preuve de chon amabilité, au moment du douche nuit, chainte nuit, l’animal ch’est faufilé entre les rangs des croyants, sans faire tomber eune cheule chaise. Pourtant, j’en aurai bientôt la confirmation, les propos de l’homme étaient en dessous de la vérité, car non seulement le petit solipède savait lire et écrire, mais il parlait, et mieux encore, il raisonnait. Libre à vous de le croire …
3. Savina : Etre écrivain colporteur conduit forcément à des rencontres. Sont-elles sources d’inspiration pour vos livres ?
Robert : Oui, bien entendu. J’ai notamment appris que face aux rencontres, les richesses valent l’ombre d’une fumée. Je sais aujourd’hui que l’argent est le pivot de bien des actions humaines, et qu’il fait de sots des personnages considérables. Dans mes écrits, je ne fais que traduire « écritement » les actes et pensées des humains, bien que je sois persuadé que tout a déjà été dit, oublié, et puis ressuscité. Aujourd’hui, je n’ai plus de certitudes, seulement des convictions.
4. Savina : La rencontre la plus marquante en tant qu’écrivain colporteur ?
Robert : Difficile de répondre. Chaque rencontre avec notre prochain, comme le fleuve dépose son limon sur les berges, enrichit notre acquit, élève l’esprit, influence notre substrat, et tisse petit à petit le complexe et fragile cheminement de notre cerveau. Une nouvelle relation est bien davantage qu’une simple rencontre avec l’autre, c’est en vérité un formidable voyage intérieur avec soi-même. Cinq minutes suffisent parfois à oublier certains êtres que l’on a connus toute une vie, une vie n’est pas toujours suffisante pour oublier certains êtres entrevus cinq minutes.
5. Savina : Auriez-vous une devise, vu votre parcours d’homme libre ?
Robert : Oui, je citerai cette sentence de Goethe : Si tu veux vivre gaiement, pars et chemine avec deux sacs, l’un pour donner, l’autre pour recevoir.
6. Savina : Vous donnez aussi des conférences. Pourriez-vous nous en dire davantage ?
Robert : Mon thème (entre autres) est le suivant : le colportage en France et en Europe du Xvème au Xxème siècle. Les colporteurs étaient des marchands ambulants, d’abord vendeurs d’images et de feuilles volantes qui parcouraient la France à pied, et pour les plus aisés en compagnie d’un âne ou d’une mule. On les appelait communément coureurs, merciers, mercelots, petits merciers, porte-balles du nom du ballot de marchandises enveloppé et lié de cordes, dénommé balle, etc. Je m’arrête, car je suis intarissable sur ce sujet.
7. Savina : Il y a certainement une histoire à raconter, entre vous et les éd. Les Penchants du roseau… Christian Domec, un de ceux qui font partie de vos rencontres en tant que colporteur ?
Robert : Oui, j’ai rencontré Christian Domec un 1er Janvier, au bord de mer à Dieppe, cela ne s’invente pas. Il flânait, je travaillais. Nous nous sommes revus quelques semaines plus tard, lors d’un petit salon du Livre dans un coin perdu de Normandie où il n’ennuyait et moi aussi. Pour sceller notre rencontre, nous avons éclusé quelques gobelets. Christian Domec fait partie de mes rencontres prépondérantes. Il est un pur esprit, un faiseur d’idées et d’auteurs pour lesquels il est une véritable aubaine. Je le tiens en grande estime.
8. Savina : « Bankster » (v. Billet consacré à cet ouvrage) est-il un échantillon représentatif de ce que vous avez écrit, de vos autres oeuvres ?
Robert : « Bankster » est un amusement intellectuel, un pied de nez, un exercice pour l’esprit. Je n’avais nullement l’intention de l’éditer, mais Christian Domec me l’a conseillé. Il a bien fait, car je m’aperçois que cette nouvelle capte l’intérêt des lecteurs, et j’en suis sincèrement heureux.
9. Savina : A qui souhaiterait découvrir votre style, votre univers, quel ouvrage lui conseillerez-vous ? Pourquoi ?
Robert : Les Habits du Dimanche ou la Grande Nuit. J’ai vécu pendant quatre ans dans la grande précarité. Les rues de Paris étaient mon univers. Je ne cèle rien des faiblesses et des errances des laissés-pour-compte de notre société que l’écrivain anglais G.K. Chesterton définissait si bien en assurant qu’elle était emplie de vertus chrétiennes devenues folles.
10. Savina : Un dernier mot pour le lecteur de ce blog, pour ceux qui écrivent aussi ?
Robert : Je suis très attentif aux critiques de mes lecteurs, car en vérité c’est grâce à eux et à leur relecture, que je progresse. Je leur dois un énorme remerciement et voudrais simplement rappeler ce texte issu du Traité des Principes de l’Ecclésiaste : Ne méprise aucun homme, et ne dédaigne aucune chose, car il n’y a pas de chose qui ne trouve sa place, ni d’homme qui n’ait son heure.
Merci, cher Robert, d’avoir accepté l’invitation pour cet interview.
Savina de Jamblinne