Comme je vous l'avais proposé la semaine dernière, nous nous retrouvons aujourd'hui, vous et moi amis lecteurs, à nouveau devant la vitrine 3 de la salle 5 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre en vue de nous intéresser à deux petites pièces de calcaire jadis peint qui y sont exposées près de ces quatre chats qui, ostensiblement, leur tournent le dos.
A dire vrai, un singe assis mis à part, tout le monde, là, semble les ignorer. Là, seulement ? Pas certain ... Je ne suis pas persuadé en effet que les visiteurs qui pénètrent dans cette salle soient vraiment attirés par ces deux fragments exécutés en léger relief et dont seules subsistent quelques traces de couleurs que le temps a passablement effacées.
Vous me permettrez donc, mardi prochain, après l'introduction générale que je prévois
ce matin, de vous les présenter plus en détail de manière à délibérément rémédier à cet ostracisme que vivent bien des petits monuments de tous les musées du monde, "écrasés" qu'ils sont
par l'aura d'incontournables "vedettes" qui, sans le vouloir véritablement, leur font une ombre considérable. Et que, personnellement, j'estime imméritée !
(Un merci tout particulier - ce n'est pas le premier et, probablement, pas le dernier non plus - à la conceptrice du blog Louvreboîte pour l'amabilité avec laquelle, à ma demande, elle a réalisé quelques gros plans du bloc vitré, dont celui ci-dessus.)
En juin 2010, quand nous avions de conserve détaillé la grande vitrine murale derrière nous, nous y avions rencontré un ostracon, E 14 341, datant de l'époque ramesside et découvert, comme beaucoup d'autres, dans le village des artisans de Deir el-Médineh : il proposait le dessin d'une scène de chasse dans laquelle un bouquetin aux cornes imposantes est saisi au col par un chien.
Dans la suite de mon intervention, ce jour-là, tout en vous promettant de plus tard aborder le sujet des chiens familiers, je vous avais expliqué que les zoologistes s'accordent pour admettre qu'en Afrique, tous sont issus d'un type de canidé - Canis lupaster - très proche pour nous à la fois du chacal et du loup (ce dernier, animal, par parenthèses, étant totalement inconnu des Egyptiens de l'époque).
J'avais ajouté que, sur les rives du Nil, deux races, essentiellement, étaient représentées en plus de certains molosses et bassets : le Lévrier des pharaons, à poil court roux/fauve, aux oreilles levées et à la queue enroulée et le Sloughi, aux oreilles tombantes. Et que, suivant les époques et les régions, si l'on s'en tient aux scènes mises au jour dans les tombes, ils accompagnaient leurs maîtres soit à la chasse, soit dans des opérations militaires, soit lors de patrouilles sur les pistes et dans les carrières du désert ou aux postes frontières.
Ces animaux jouissaient évidemment d'un statut privilégié puisque considérés comme utilitaires. D'autres, furent élevés au sein de nombreuses demeures égyptiennes, un peu comme chez nous, pour simplement devenir un animal de compagnie indissociable de la vie de famille, aussi utile que le chat, moins coûteux qu'un singe, affirme JeanYoyotte dans le Dictionnaire de la civilisation égyptienne.
Bien qu'il s'appliquât originairement aux bêtes auxiliaires de chasse, le terme
tjésem, à côté d'autres appellations, fut par la suite précisément employé pour désigner les chiens évoluant au sein d'une maisonnée : il faut en effet savoir qu'étymologiquement, le mot
dérivait d'un verbe signifiant "garder", "veiller".
A l'instar de l'origine du nom Miou pour le chat, les expressions Iou et Iouiou s'appliquèrent, dès le Moyen Empire, au chien en général, également en relation avec les sons qu'il émettait car, au départ, c'étaient des verbes ayant le sens de "gémir", "se plaindre".
Pour la petite histoire lexicologique, j'ajouterai que les substantifs "grognement" et "aboiement" s'écrivaient "whwh" ; ce qui, phonétiquement, donnait quelque chose très proche de notre "ouaoua" ! Encore une onomatopée auditive.
Nous avions vu en son temps que le chien tenu en laisse par un nain sous le fauteuil d'Inti représenté, rappelez-vous, dans son mastaba d'Abousir, portait le nom de Idjem (Roux). A la différence du chat dont seul un patronyme nous a été conservé dans la documentation iconographique, les études onomastiques ont démontré qu'étaient portés à notre connaissance, - à tout le moins selon mes sources qui datent de 2003 -, 85 noms personnels attribués à des chiens par leur maître : tous, sauf quatre, étant antérieurs au Nouvel Empire. Presque tous ont été dévolus à des lévriers dans la mesure où un seul nommait un molosse et deux des bassets.
Beaucoup de ces noms faisaient référence à une caractéristique physique de l'animal en question : Djetet (Grasse), Ouret (Grande), Neferet (Belle) ; ou Kemou (Noir), Hebeny (Ebène) ; ou encore Tep-Nefer (Belle-Tête), Mendjoui (Les Deux Mamelles) ...
Parfois, c'était une qualité (ou un défaut) qui avait été épinglé pour l'attribution de leur nom : Ankhou (Vivant), Seneb (Sain), Maaty (Fiable), Djaoutet (Vaurienne), Degem (Etourdi ) ...
Si l'on y réfléchit bien, ces choix datant de la plus haute Antiquité ne diffèrent pas vraiment de l'origine de nos anthroponymes créés au Moyen âge : des Legrand, des Legros, des Lebeau, des Lenoir ... et des Lejeune se rencontrent encore de nos jours, non ?
Toutes ces dénominations, tous ces "prénoms" aussi nous confirment l'importance cardinale que le chien représentait aux yeux de la population égyptienne de l'époque. D'autres preuves obvies sont également fournies par la documentation, que ce soient la décoration pariétale des tombeaux que je viens à l'instant de rappeler où on le voit bien installé sous le siège du propriétaire, alors que le chat reposait quant à lui plutôt sous celui de son épouse - ; ou certaines stèles gravées, comme par exemple celle de Nenu où deux chiens accompagnent la famille venue rendre hommage à un parent défunt ; ou que ce soient ces petites momies de canidés retrouvées gisant à côté du sarcophage de leur maître et ce, dès le Moyen Empire ; et à propos desquelles, à un prochain rendez-vous, je ne manquerai pas de vous entretenir ...
Fait rarissime dans la mesure où il en existe très très peu, nous avons dans les réserves des Musées royaux d'Art et d'Histoire de Bruxelles trois planchettes de bois, deux inscrites et une anépigraphe, qui selon Jean Capart, ont appartenu à un cercueil de chien de quelque 70 centimètres de longueur pour 25 de largeur, datant précisément du Moyen Empire.
Un autre égyptologue belge, Luc Limme, a réétudié ces inscriptions en 1985 pour en donner une version probablement définitive. Ainsi, sur le premier fragment, le plus long des trois, on peut lire cet incipit classique : Offrande que fait le roi à Osiris, seigneur de Busiris (consistant en) pain, bière, boeufs, volailles, pour la vénérée, l'aimée de sa maîtresse, Aya.
Il est évident qu'avec semblable formule, la maîtresse de cette chienne Aya tînt à ce qu'elle fût ensevelie à l'instar d'un être humain.C'est assurément cette relation privilégiée que voulurent marquer les artistes qui réalisèrent les deux petits monuments posés ici devant nous dans cette vitrine et que nous évoquerons donc plus précisément le mardi 25 janvier.
(Bouvier-Closse : 2003,
12-3 et 19-29 ; Limme : 1985,
147-51 ; Posener/Sauneron/Yoyotte : 1959, 53)