Carmilla, de Joseph Sheridan Le Fanu

Par Carolune

  

   Dans un château de la lointaine Styrie, au début du XIXe siècle, vit une jeune fille solitaire et maladive.
   Lorsque surgit d'un attelage accidenté près du vieux pont gothique la silhouette ravissante de Carmilla, une vie nouvelle commence pour l'héroïne. Une étrange maladie se répand dans la région, tandis qu'une inquiétante torpeur s'empare de celle qui bientôt ne peut plus résister à la séduction de Carmilla... Un amour ineffable grandit entre les deux créatures, la prédatrice et sa proie, associées à tout jamais "par la plus bizarre maladie qui eût affligé un être humain". Métaphore implacable de l'amour interdit, Carmilla envoûte jusqu'à la dernière ligne... jusqu'à la dernière goutte de sang !


   En ces temps de bit-lit, où l’on croise – avec plaisir ! - des vampires à tous les coins de pages, pourquoi ne pas aller faire la connaissance de l’une de leurs ancêtres, la « charmante » Carmilla, héroïne d’un roman de  l’écrivain irlandais Joseph Sheridan Le Fanu, publié en 1871, soit vingt-six ans avant Dracula de Bram Stoker ?

   L’histoire nous en est racontée par son héroïne "humaine," la jeune Laura, qui coule des jours paisibles mais monotones dans la riche propriété de son père. Un soir, une diligence passe près du domaine, ses chevaux s’emballent et la voiture est accidentée…en sortent, sous les yeux de Laura et son père, deux femmes d’une beauté fascinante, Carmilla et sa mère. Carmilla, une jeune fille de l’âge de Laura, est blessée et doit rester au château : une amitié fusionnelle va alors s’installer entre les deux adolescentes. Oui, mais pendant ce temps, des jeunes filles meurent mystérieusement dans les environs : elles s’affaiblissent peu à peu et finissent par rendre leur dernier soupir dans un délire fiévreux… L’amitié des deux jeunes filles grandit, une amitié particulière : le désir de l’une pour l’autre est à peine dissimulé derrière quelques périphrases, leurs esprits s’enflamment, et c’est d’ailleurs un régal que de voir la prose si sage de Laura s’érotiser discrètement et malgré elle… Mais Laura commence à perdre elle aussi ses forces, elle fait des cauchemars terrifiants dans lesquels elle reconnaît en Carmilla une femme d’une beauté extraordinaire qui hantait ses nuits de petite fille, jusqu’à ce que l’on finisse par découvrir dans son cou deux petites morsures…

   Dans l’un des premiers romans vampiriques, tout est déjà là : le désir interdit, la lente déréliction d’un être innocent qui vit avec délices son avancée vers la mort, mais aussi un sublime univers gothique, fait de landes désolées, de chapelles en ruines, de vastes demeures silencieuses, et de femmes fascinantes et meurtrières. Ajoutons à cela que le lecteur contemporain, qui a déjà rencontré un certain nombre de vampires dans ses lectures, sait très bien ce qui attend Laura… : s’il n’éprouvera pas la surprise des lecteurs de l’époque qui ne connaissaient pas les vampires, il aura en revanche le plaisir pervers de voir se révéler peu à peu la nature réelle de l’emprise de Carmilla sur Laura… Un vrai délice sanguinolent, donc, servi par une écriture somptueuse, que les edwardolâtres ne manqueront pas d'apprécier !