Les «Œuvres philosophiques de Diderot sortent en Pléiade. L'occasion de se plonger dans des textes connus, comme «le Rêve de d'Alembert», ou moins connus, tel l'«Essai sur les règnes de Claude et de Néron»
Le 7 juillet 1746, le Parlement de Paris condamneun livre à être«acéré et brûlé, comme scandaleux, contraire à la religion et aux bonnes mœurs». Le volume est faussement publié à La Haye,«aux dépens de la Compagnie»,et il circule sous le manteau, sans nom d’auteur. Ce dernier a 33 ans, et fera beaucoup parler de lui par la suite. Il s’appelle Denis Diderot, son livre s’intitule «Pensées philosophiques», et il porte sur la page de titre cette inscription en latin:«Ce poisson n’est pas pour tout le monde.»En effet, et la censure l’a vite compris, comme elle le comprendra devant le plus dangereux des livres: l’«Encyclopédie».
Pour tous ceux qui, à l’époque, complotentpour un changement d’ère, Diderot est«le Philosophe». Drôle de philosophe, aussi éloigné des saints de la profession ancienne que des bavards sociaux d’aujourd’hui. L’auteur des «Bijoux indiscrets», de «a Religieuse», du «Neveu de Rameau», de «Jacques le fataliste» est d’abord un tourbillon en acte. Il est partout et nulle part, c’est une effervescence incessante. Comme le dit très justement Michel Delon,«son style est celui du harcèlement ou de la guérilla qui change sans cesse de place, qui récuse toute position définitive».Ou encore, parlant des nombreux emprunts ou des citations à la Montaigne de cet écrivain turbulent:«Diderot ne laisse pas seulement apparaître les pensées qui le constituent, il déploie sa propre pensée en recourant à l’altérité.»Il bouge, Diderot, il a des identités rapprochées multiples, il dérive, il dérape, il dialogue. La pensée est une conversation continuelle, un grand roman fourmillant.«Une seule qualité physique,dit-il, peut conduire l’esprit qui s’en occupe à une infinité de choses diverses.»Penser, c’est faire de la musique, danser, donner des coups, détruire la suffisance ignorante de tous les pouvoirs.Ecoutez Catherine de Russie après ses rencontres avec«le Philosophe»: «Votre Diderot est un homme extraordinaire, je ne me tire pas de mes entretiens avec lui sans avoir les cuisses meurtries et toutes noires.»Il aurait mieux valu, pour la monarchie française, se laisser taper sur les cuisses par cet insolent, plutôt que de persécuter les Lumières et les envoyer en Russie ou en Prusse. Temps héroïques, où les écrivains étaient bannis et leurs écrits«acérés»,ce dont ne semblent plus avoir la moindre idée les pâles Français actuels.
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