En direct de Tunis par Ridha Kéfi (1)

Par Haykel

Face aux évènements qui se déroulent en Tunisie, nous sommes entrain d’assister à la naissance d’une nouvelle démocratie en Afrique du Nord. Les enjeux politiques sont nombreux et ce nouveau modèle de démocratie en devenir en Afrique du Nord semble créer une certaine tension auprès des pays voisins voire auprès de toute la région où gouvernent des Présidents au pouvoir unique et inique. Juste après la chute du dictateur Ben Ali le chaos a commencé à s’installer dans le pays. Des milices armées sèment la panique sans savoir vraiment qui les emploie. Certains y voient une main étrangère. Il est vrai qu’aucun pays arabe ne voit avec un bon oeil l’arrivée de cette nouvelle liberté qui s’est emparée du peuple tunisien. Pour comprendre et accompagner cette révolution, j’ai demandé à mon ami le tunisien Ridha Kéfi(*), écrivain et journaliste émérite, directeur du portail d’information Kapitalis de me livrer un témoignage quotidien pendant une semaine sur le vif en direct de Tunis.

Le printemps tunisien en plein hiver
La Tunisie offre aujourd’hui l’image d’un pays qui se réveille d’une griserie révolutionnaire et prend conscience de l’ampleur de la tâche qui l’attend pour restaurer la paix civile, reconstruire la scène politique, détruite par 23 ans de dictature atroce, faire redémarrer la machine économique, grippée depuis près d’un mois, et rétablir la confiance des populations dans les institutions de l’Etat, largement discréditées par les dérives de l’ancien pouvoir.
La situation est certes encore moyennement agitée. Les sbires de Ben Ali – parmi les membres de l’ancien service de sécurité présidentielle et de l’ancien parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique progressiste (RCD) – continuent de terroriser les populations civiles.
Hier soir, des échanges de tirs nourris ont été enregistrés dans plusieurs quartiers de Tunis et d’autres villes. Des éléments incontrôlables poursuivent leurs actes de pillage et de dégradation, ciblant des propriétés et des biens de la famille du président déchu, mais aussi des établissements publics et privés.
Les citoyens, qui ont décidé de reprendre aujourd’hui leur travail, sont écœurés par le spectacle désolant des destructions commises ces derniers jours.
Le réveil est brutal, mais des éléments positifs sont enregistrés, qui dénotent une normalisation progressive de la situation.
L’armée, déployée dans tout le pays, est très bien accueillie par la population. Les comités de quartiers veillent à l’ordre public et collaborent étroitement avec les forces de l’ordre dans la traque des éléments réfractaires de l’ancien régime. 
Le Premier ministre Mohamed Ghannouchi va annoncer ce matin la composition du gouvernement d’union nationale où les principales forces politiques et mouvements de la société civile seront représentés.  
Les médias, longtemps muselés, sont repris en main par les journalistes et contribuent aujourd’hui à l’effort national de stabilisation. La télévision nationale sert de courroie de communication entre le peuple et l’armée, informant en temps réel sur la situation dans toutes les régions et contribuant à la traque des mercenaires (dont plusieurs tireurs d’élite européens) à la solde du président déchu.
L’approvisionnement en produits de première nécessité (carburants, produits alimentaires…) est assuré par les commerces de proximité qui commencent à ouvrir, profitant du début d’accalmie. Les banques, les administrations, les entreprises et les divers établissements reprennent ce matin leur activité normale.
Les touristes européens, qui ont quitté précipitamment ces derniers jours les stations balnéaires du pays, ne tarderont pas à revenir pour profiter de nouveau de la qualité de l’offre touristique tunisienne: l’hospitalité des gens, les équipements hôteliers haut de gamme, les plages de sable fin, les vestiges historiques et le patrimoine culturel… Car les Tunisiens sont un peuple modéré, civilisé et pacifiste. Il a horreur de la violence et du sang. Il a été acculé à se soulever pour se débarrasser d’une dictature atroce qui l’oppresse et le prive de liberté. Il l’a fait les mains nues, en manifestant pacifiquement dans la rue.
Ce peuple, qui a le sens de la mesure et du compromis, ne tardera pas à rétablir la paix civile et à se remettre au travail. Il reconstruira rapidement ce qui a été détruit et repartira de bon pied, inaugurant une nouvelle ère de liberté, de paix et d’ouverture sur le monde. 
Dans ce processus, les pays occidentaux, y compris la Suisse, auront un rôle important à jouer, notamment en soutenant la démocratie naissante en Tunisie. Ce soutien peut s’exprimer de diverses façons: en aidant la nouvelle direction à reconstruire le champ politique et en appuyant la reprise économique, par la relance des échanges, des investissements et des flux touristiques.
Ridha Kéfi de Tunis

(*)Ridha Kéfi a collaboré avec plusieurs journaux et magazines. Il s’est fait un nom en Tunisie et sur le continent africain. Ces dernières années, il a travaillé comme responsable du service cultuel du quotidien Le Temps (Tunis), comme rédacteur en chef délégué à Jeune Afrique entre 1994 et 2006 avant de créer le magazine hebdomadaire L’expression. Actuellement, il est l’un des trois rédacteurs en chef de NewAfrican, un bimestriel basé à Paris et à Londres.

Et demain est un autre jour!