Le procès Zemmour

Publié le 17 janvier 2011 par Vindex @BloggActualite
-Eric Zemmour-La semaine dernière, l’actualité fut marquée par le procès d’Eric Zemmour. Ce procès dure trois jours. Il a été intenté par 5 associations de lutte contre le racisme : SOS Racisme, la LICRA, le MRAP, J’accuse et l’UEJF.
Rappel des propos Eric Zemmour est poursuivi pour des propos tenus le même jour à deux émissions différentes. Les premiers ont été les plus médiatisés. Il les a tenus le 6 mars 2010 à l’émission « Salut les Terriens » de Thierry Ardisson sur Canal Plus dans le cadre d’une discussion autour de son livre, notamment sur le dernier chapitre : « Pourquoi on est contrôlé 17 fois par jour ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C’est comme ça c’est un fait ». Les seconds ont été diffusés le même jour sur une émission de France Ô, et ils concernaient la discrimination raciale. En réaction à cela, les 5 associations antiracistes ont décidé d’attaquer le journaliste pour diffamation et incitation à la haine raciale, malgré la lettre d’explication qu’Eric Zemmour a adressé au président de la LICRA (http://www.marianne2.fr/Exclusif-Zemmou ... 89913.html). L’avant-procès Un certain temps est déjà passé depuis ces propos. Mais cette affaire est repassée sur le devant de la scène. Le chroniqueur a notamment eu un droit de réponse dans l’émission "On n’est pas couché" sur France 2 et cette réponse a fait dernièrement l’objet d’une de nos vidéos de la semaine. SOS Racisme a également fait une vidéo juste avant le procès, en reprenant divers propos d’Eric Zemmour (des propos pas toujours en rapport avec le champ d’action de SOS Racisme) et en y ajoutant le slogan « Méfions nous des idées qui puent » : http://www.agoravox.tv/actualites/socie ... ions-28947. Suite à la grande médiatisation de ces propos, des pressions sont faites sur les différents employeurs de Eric Zemmour (Le Figaro, RTL…) pour le faire licencier, ce qui entraîne notamment des manifestations de soutiens et un soutien de Philippe Bilger qui s’appuie sur son expérience de juriste. Les premiers soutiens Les premiers soutiens à Eric Zemmour viennent peu avant le début du procès. Le premier soutien de poids vient de Jean-Pierre Chevènement, président d’honneur du Mouvement Républicain et Citoyen (la gauche dite républicaine, mêlant à la fois socialisme démocratique et souverainisme), qui fut notamment ministre de l’intérieur. Il affirme dans une lettre à la présidente de la 17 ème chambre correctionnelle du Tribunal de Grande Instance de Paris que ce qu’a dit Eric Zemmour n’était pas matériellement inexact (se référant aux listings de la Direction centrale de la Sécurité publique du ministère de l’Intérieur) même si c’était dit avec une certaine maladresse. Il a défendu l’écrivain au nom de la liberté d’expression, nécessaire au débat républicain (la lettre en question : http://www.chevenement.fr/La-lettre-de- ... a1054.html). Un autre chevènementiste a pris la défense d’Eric Zemmour en adressant un message à plusieurs journalistes lors du début du procès : il s’agit de Georges Sarre. Selon l’avocat du journaliste, Olivier Pardo, son client serait également soutenu par l’ancien président socialiste de SOS Racisme Malek Boutih. Elisabeth Levy a aussi soutenu le journaliste dans un débat contre le président de la LICRA Alain Jackubowicz, tout comme le journaliste au Figaro Ivan Rioufol. Un groupe de 28 députés UMP a aussi apporté son soutien (comme Jean Louis Debré), et d’autres soutiens seront témoins pour Eric Zemmour, comme Eric Naulleau et Robert Ménard. Les premiers débats Dès les premiers instants du débat, Eric Zemmour semble déterminé à ne pas se coucher devant le politiquement correct, à maintenir ses propos et notamment à appuyer ceux-ci par des arguments et des études sociologiques. Il se défend d’être provocateur, décrivant selon lui la réalité, qui est brutale. Il dénonce également les associations antiracistes et leurs méthodes « inquisitoriales ». http://www.liberation.fr/societe/010123 ... st-brutale Concernant la discrimination, il se défend en disant que la discrimination est un choix et en montrant certaines formes acceptées de discriminations raciales dans la société civile (agence d’hôtesses qui demande des femmes africaines, Anne Lauvergeon qui dit ne plus employer d’hommes blancs) et pense que la vie humaine est une machine à discriminer (au sens plus large du terme cette fois ci). Il s’est fait contrer par le procureur Anne de Fontette, qui a rappelé que la discrimination fondée sur les origines ou la religion était illégale. Des associations antiracistes unies ou désunies ? Même si elles sont 5 à avoir porté plainte contre Eric Zemmour, les associations antiracistes, selon Olivier Pardo, sont divisées. En effet, au sein même de SOS Racisme, le président actuel Dominique SOPO et l’ancien président Malek Boutih, ne sont pas d’accord sur le procès. Aussi, au sein de la LICRA, il y aurait eu des réticences à porter plainte, même si Alain Jakubowicz assure que la majorité du conseil a voté pour. Plus troublant, les raisons de la plainte. En effet, si SOS Racisme, notamment par son avocat Patrick Klugman, pense que l’incitation à la haine existe et que les propos d’Eric Zemmour sont condamnables sur le fond comme sur la forme, le président de la LICRA, lors de son débat avec Elisabeth Levy, affirme que c’est plutôt la forme des propos et les réactions et la réception qu’ils peuvent susciter, plutôt que le fond de ceux-ci qu’il ne conteste pas. Les témoignages à la barre Tout d’abord, Robert Ménard fut appelé à témoigner pour Eric Zemmour. Pourtant souvent opposé au journaliste du figaro, Robert Ménard s’est tout de même déplacé afin de défendre la liberté d’expression d’Eric Zemmour. En effet, ces derniers temps, nous pouvons observer que Robert Ménard est très porté sur la liberté d’expression, après avoir œuvré pendant des années sur les droits des journalistes dans le monde (à travers « Reporters sans frontières »). Ses positions ont même été relativement controversées sur l’homosexualité ou la peine de mort. Robert Ménard défend la liberté d’expression face au politiquement correct qui selon lui empêche le débat d’idée. Il est contre la condamnation juridique des opinions quelle qu’elles soient et prône la raison et le débat pour lutter contre les idées extrémistes. Il n’exprime pas vraiment de position tranchée sur les positions de Zemmour même s’il dit ne pas toujours être d’accord avec lui. Eric Naulleau est sur un créneau similaire, n’adhère manifestement pas aux propos de son collègue, mais déclare que s’il devait porter plainte contre lui à chaque fois qu’il n’était pas d’accord, il passerait sa vie au tribunal. Il évoque également la liberté d’expression et affirme qu’Eric Zemmour n’est pas raciste. Il a ajouté que le principe de l’émission de Ardisson n’avait pas permis à Mr Zemmour d’argumenter sa thèse. Il a également exprimé le fait que les associations antiracistes faisaient un aveu de faiblesse en attaquant les idées de Zemmour judiciairement plutôt que politiquement par le débat. Une étude du sociologue Sébastien Roché fut notamment utilisée pour appuyer le constat d’Eric Zemmour, sans non plus aller jusqu’à justifier l’utilisation du terme « la plupart ». D’autres témoins sont intervenus comme le criminologue Xavier Raufer, qui s’est également appuyé sur des statistiques, revenant aussi sur les contrôles au faciès, qui ne sont pas selon lui systématiques. Que peut-il ressortir de ce procès : les issues possibles Eric Zemmour est donc accusé, devant le Tribunal Correctionnel de Paris, « d'incitation à la haine raciale » et de « diffamation ». En premier lieu, la diffamation (qui est, selon l'article 29 de la loi du 29 Juillet 1881, « Toute allégation ou imputation d'un fait portant atteinte à l'honneur ou la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ») qui est ici avancée est spécifique, du fait qu'elle est commise « envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée » comme le précise l'article 32 de cette même loi. C'est, à tout le moins, la qualification la plus proche et la plus cohérente que l'on peut ici imputer aux faits incriminés. Cette infraction est punissable d'un maximum d'un an d'emprisonnement et de 45 000€ d'amende, bien que ce soit une infraction de presse. L'autre incrimination retenue pour qualifier juridiquement les propos d'Eric Zemmour est l'incitation à la haine raciale qui, quant à elle, est définie à l'article 24 de cette loi sur le régime répressif relatif à la liberté d'expression, comme étant « tout moyen […] provoquant à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». La peine prévue pour cette infraction est la même. Concernant l'infraction de diffamation (qui a été retenue semble t-il dans le réquisitoire du procureur de la République), bien que ces imputations concernent diverses personnes appartenant à une même appartenance ethnique (qui est un des « corps protégés » prévus par la Loi) et que, bien évidemment, cela porte atteinte à leur honneur et à leur considération, la constitution de cette infraction laisse place à la discussion, du fait qu'Eric Zemmour n'a pas imputé l'existence d'une majorité d'hommes noirs ou arabes parmi les trafiquants de drogue à leur appartenance ethnique ou religieuse. En effet, le « à raison de » dans l'article 29 de la loi de 1881 implique clairement un lien de causalité qui doit être établi par la personne accusée de diffamation entre le fait attesté et l'origine ethnique/raciale/religieuse du groupe de personne faisant l'objet de telle déclaration. Cette interprétation a été attestée par Sylvie Menotti (conseillère référendaire à la cour de cassation) qui a estimé (Chronique de la Cour de cassation chambre criminelle , Recueil Dalloz. 2007, pages 1817 et suivantes : http://www.e-juristes.org/La-diffamation-raciale-et-la/ ethttp://www.legalbiznext.com/droit/Delit ... ation-a-la) que ce genre d'infraction ne pouvait conduire à condamnation que lorsque les propos sont tenus « en considération des origines ou des croyances », ce qui signifie que l'infraction n'est légalement constituée que si la diffamation en question est attribuée à l'appartenance à une religion ou à une origine particulière, ce que Zemmour ne fait pas dans les propos faisant l'objet de poursuites. Pour le cas où l'infraction de diffamation serait reconnue, il existe alors, au bénéfice d'Eric Zemmour, deux possibilités pour justifier sa diffamation : soit alléguer, comme fait justificatif de cette infraction, l'excuse de vérité, soit la preuve de sa bonne foi. Au vu des nombreux soutiens dont il a pu bénéficier, nul doute que l'auteur a pour projet d'alléguer la vérité de son propos par diverses études et peut-être même sa bonne foi. Ceci apparaît, cependant, comme bien compliqué, tant le sujet est peu abordé d'une manière élaborée, et ce d'autant plus que la chambre criminelle de la Cour de Cassation exige, en interprétation de l'article 35 de la Loi de 1881, de cette excuse de vérité une preuve « parfaite, complète et corrélative aux imputations, tant dans leur matérialité que dans leur portée » (pour exemple : Cour de Cassation, Chambre Criminelle, 11 Mai 2010, pourvoi n°09-83740, http://www.legifrance.gouv.fr/affichJur ... &fastPos=3 ). De même, le chroniqueur pourra alléguer de sa bonne foi, sachant que celle-ci répond néanmoins à des conditions tout aussi restrictives : un but légitime (c'est à dire, par exemple, nécessaire au débat politique), une enquête sérieuse (ce qui pourrait bien faire défaut), une prudence dans l'expression (dépourvue alors de toute partialité et de toute subjectivité), et enfin d'une absence d'animosité personnelle. Sur le délit « d'incitation à la haine raciale », dont dispose l'article 32 de la loi de 1881 (dont la qualification est évoquée plus haut), la question est plus délicate encore. Certes, le procureur de la République en présence n'a pas retenu cette qualification d’incitation à la haine raciale concernant les propos sur les trafiquants de drogue. En effet, le magistrat s’est peut-être interrogé sur la teneur « ''explicite'' d'une telle incitation à commettre des actes de discrimination ou de violence ou à concevoir des sentiments de haine » dans les propos de Monsieur Zemmour, qui se révèlent pourtant nécessaire à la constitution d'une pareille infraction, comme ce fut, par exemple, le cas dans un arrêt rendu par la chambre criminelle de la Cour de Cassation en date du 3 Février 2009 (http://www.legifrance.gouv.fr/affichJur ... &fastPos=2 ). En effet, dans aucun de ces propos, Eric Zemmour n'incite pas explicitement à de quelconques faits de discrimination à l'encontre de groupes ethniques déterminés. Cependant, si l’on a une acceptation plus large, plus attachée à l’objet de cette infraction, l’on peut estimer que ces propos, indirectement, provoquent à la haine raciale en ce sens qu’elle constitue une certaine justification des contrôles policiers. Ainsi donc, dans l'affaire en présence, nous sommes dans l'hypothèse d'un concours réel d'infraction, ce qui signifie que la personne s'est rendue coupable de plusieurs infractions n'ayant pas fait l'objet, entre elles, d'un quelconque jugement définitif (du fait qu'elles ont été perpétrées le même jour). Par conséquent, le tribunal saisi en l'occurrence de la commission de ces infractions doit les juger par un seul et même procès (même s'il n'y était, par ailleurs, aucunement obligé). Une fois cette conjecture démontrée, c'est alors l'article 132-3 alinéa 1 du code pénal qui trouvera à s'appliquer, indiquant notamment que « lorsque plusieurs peines de même nature sont encourues, il ne peut être prononcé qu'une seule peine de cette nature dans la limite du maximum légal le plus élevé ». Cela signifie donc que, bien qu'Eric Zemmour soit jugé pour plusieurs infractions, il ne pourra encourir plus d'un an d'emprisonnement et de 45 000€ d'amende, que les deux infractions soient reconnues comme établies ou non, et quelle que soit l'infraction qui lui sera attribuée. Cependant, il convient d'ajouter que le juge pourra également choisir d'autres peines pour punir les propos d'Eric Zemmour si ceux-ci sont constitutifs d'une infraction pénale : soit la peine d'affichage de la décision prononcée ou de diffusion de celle-ci est à sa charge dans la limite de l'amende de 45 000€ encourue (prévue par l'article 131-5 du code pénal), soit les peines d'interdiction d'éligibilité et/ou d'exercice d'une fonction juridictionnelle, d'expert judiciaire et de représentation ou d'assistance d'une partie lors d'un procès (prévues par l'article 131-26 du code pénal). Enfin, si Zemmour est relaxé de ces deux chefs d'inculpation, il ressortira libre du tribunal, et sans aucune peine prononcée à son encontre.
Les enjeux de ce procès Les enjeux de ce procès sont relativement importants à notre sens. En effet, ces propos ont été tenus au cours d’une année 2010 très marquée par les thématiques tournant autour de l’immigration. L'issue de ce procès permet de débattre à nouveau de ces problématiques dans un contexte judiciaire (malheureusement) mais surtout pourrait raisonner comme une sorte d’arbitrage quant à l’importance de ce thème, peut-être en vue de 2012 ? Si Eric Zemmour l’emporte au final, il est probable que les hommes politiques se tournent d’avantage sur ces thèmes (surtout dans un contexte dans lequel le Front National est en progression). Si ce sont les associations antiracistes, il est probable que cela entérine une certaine retenue vis-à-vis de ces questions. Conclusion Ainsi cette affaire commencée en mars 2010 a rapidement été une affaire médiatique, politique puis judiciaire. Elle fut longue mais c’est en fin de compte un type d’affaire relativement récurrent, même si là, la médiatisation fut très importante. Différents arguments ont été appuyés de chaque côté : chez les associations de lutte contre le racisme, le fond ou la forme des propos gène, tandis que du côté de Zemmour et ses soutiens (divers au demeurant) c’est beaucoup la liberté d’expression qui revient. Au soir du vendredi 14 janvier, Anne de Fontette a requis une condamnation pour diffamation à caractère racial et provocation à la discrimination raciale. Le verdict aura lieu le 18 février prochain. Le verdict, quel qu’il soit, donnera sans doute lieu à des appels. Rémi et Vincent Decombe