André KERTESZ est un photographie d'origine hongroise né en 1884 à Budapest et décédé en 1985 à New York.
Deux expositions lui sont actuellement consacrées, l'une au Jeu de Paume à Paris (site officiel) et l'autre au Château de Tours.
KERTESZ a immigré en France en 1923.
Peu à peu, il s'introduit dans le milieu artistique, réalise des clichés des ateliers des peintres, photographies les jardins parisiens ou effectue des commandes comme celle réalisée pour le journal Le Miroir qui lui donnera l'idée de la fameuse série des distorsions.
Sentant l'approche de la seconde guerre mondiale et de la montée du nazisme, KERTESZ émigre à New York en 1936 où il rencontrera beaucoup de difficultés pour faire reconnaître son travail. Il restera cependant fidèle à sa méthode de travail, arpentant la ville et ne réalisant que quelques clichés choisis par jour. KERTESZ explique en effet qu'il s'exprime à travers ses photographies où il y décrit ses sentiments et sa vision du monde.
On peut retenir de son travail un sens aigü de la composition. Souvent, celles-ci adoptent des lignes géométriques ou centrent le sujet principal dans la partie gauche ou droite de la photographie, laissant l'autre partie quasimentinoccupée.
Les éléments d'architecture peuvent barrer une partie de l'image, ce qui donne lieu à des clichés inattendus comme celui sur la Tour Eiffel ou ceux représentant l'architecture New Yorkaise.
On retrouve dans ses compositions l'influence des autres arts picturaux et notamment celui de MONDRIAN dont KERTESZ prendra en photographie l'atelier.
La composition de cette photographie est très rigoureuse. Elle est construite à partir de lignes verticales fortes que viennent adoucir la rambarde de l'escalier et la fleur posée sur la table. La tonalité très douce de l'exposition donne beaucoup de subtilité au cliché qui joue sur les oppositions entre le gris du manteau de l'arrière plan et de la partie basse du mur au fond de l'image qui contrastent avec le blanc de la table et des marches de l'escalier. L'ombre portée par la fleur dessine une ligne parallèle à celle formée par la partie descendante de la rambarde, elle même parallèle au trait formé par la peinture foncée de la partie inférieure du mur de l'escalier.
L'encadrement de la première résonne dans l'encadrement du porte manteau et dans l'encadrement du couleur que l'on devine au fond de l'image.
On ne peut que comparer cette photographie à l'oeuvre de Mondrian lui même, lequel parvient à un équilibre en ne jouant que sur les lignes droites et les couleurs primaires.
KERTESZ a aussi particulièrement travaillé sur les jeux de reflets et de déformations provoquées par l'eau ou les miroirs.
Plus tard, à la demande du journal de charme "Le Sourire", il réalisera une série de clichés de nus féminins déformés par le jeu de miroirs. C'est l'occasion de modifier l'appréhension traditionnelle du corps humain et de pousser la photographie au delà d'une simple représentation du réel.
On pourrait être tenté de rapprocher cette série du mouvement surréaliste qui affectionne les déformations. Mais si KERTESZ a pu être influencé par ce mouvement contemporain, il n'a jamais appartenu au cercle d'André Breton.
Ainsi, si le travail du photographe Rogi ANDRE, dont un cliché est reproduit ici fait penser à la série des distorsions, il n'y a pas chez KERTESZ d'appartenance à une école ou de principes sous-tendant son oeuvre.
On peut au premier abord être frappé par la tristesse et de la mélancolie qui se dégagent de l'oeuvre de KERTESZ représentant souvent des silhouettes perdues dans l'environnement urbain ou des jardins sans visiteurs aux chaises abandonnées.
Mais ce serait sans compter la série que KERTESZ poursuivra toute sa vie sur des sujets en train de lire.
On y voit de jeunes enfants lisant à trois un livre, des new yorkais du Greenwich Village ou des visiteurs du Luxembourg absorbés dans leur lecture. Le fait de photographier ce plaisir si intime et impalpable que constitue la lecture témoigne en réalité du sens du travail du photographe qui cherche non à décrire telle ou telle situation mais à exprimer son sentiment devant la scène photographiée.
Finalement, le fait de photographier des personnes lisant et donc abandonnées à leurs émotions et à l'univers de l'écrivain constitue une mise en abyme du propre travail de KERTESZ qui crée une interpénétration entre le réel et lui. Certaines des sujets lisant en arrive même à se confondre avec l'environnement. Ainsi, ces jeunes enfants de coeur qui ressemblent aux statues religieuses qui les surplombent ou cette petite fille lisant devant un magasin de poupées qui semble se confondre avec celles exposées en vitrine.
D'ailleurs KERTESZ aimait à dire "J’interprète ce que je ressens à un moment donné. Pas ce que je vois, mais ce que je ressens."
Les clichés que l'on a pu qualifier de tristes prennent alors un tout autre sens et montrent l'empathie du photographe pour un sujet qui s'impose à lui au gré de ses pérégrinations. Au contraire, IZIS, à travers des portraits plus travaillés, met en scène la réalité pour leur conférer une portée symbolique ou réalise à travers de ses clichés un travail documentaire bien qu'il ne soit pas dénué d'une vison propre sur le monde ou d'un certain décalage. Ainsi, le portait ci-contre, à gauche.
De même, les photographies de KERTESZ souvent prises en hauteur et décrivant des jardins publics ou des rues désertes dont la tonalité est triste par l'éclairage cru, les forts contrastes et la géométrisation del'espace,témoignent en creux du vide laissé par l'abandon du public.
Et si les hommes sont photographiés souvent sous forme de silhouette ou de corps noyés dans l'immensité des enchevêtrements architecturaux, ce n'est que pour faire état de la vie du groupe habitant la scène photographiée, investissant les lieux. Finalement; les personnes et leur environnement ne font alors plus qu'un sans que l'un ne soit plus important que l'autre dans un mécanisme d'interpénétration. La ville moderne et géométrique prend vie en présence de ses habitants et ceux-ci ne font vivre les lieux que pris sous une forme de masse ou d'individus se confondant dans le décor architectural.
Cette photographie intitulée "Jour de Pluie à Tokyo" est particulièrement parlante à cet égard puisque l'on ne distingue que des hommes cachés sous des parapluies marchant en rang serré dans le sens d'une flèche dessinée sur le bitume. La diagonale que forme la file des passants correspond aux indications figurant dans leur environnement.
Il en va de même avec cette photographie prise le jour des vétérans où les spectateurs
se confondent avec la statue en arrière plan.
On retrouve la même inspiration dans le portrait en nature morte de Mondrian. Les attributs du peintre suffisent à l'évoquer totalement.
L'exposition du château de Tours fait particulièrement bien comprendre cette dimension à travers les clichés de livres ouverts mais dont le lecteur est hors champ ou dont on ne voit que les mains ou seulement le reflet. Ainsi, la photographie représente le livre pris comme objet matériel mais aussi comme vecteur des émotions et du plaisir qu'il procure. La photographie du livre va ainsi au delà de la simple représentation et fait de l'objet le symbole des émotions que le photographe veut traduire.
Cette interprétation se trouve confirmée par les différents portraits de KERTESZ en présence de masques, par ombres projetées ou encore à travers une glace. Le photographe se confronte ainsi au masque auquel il s'identifieou signifie la contingence de son existence sous la forme diffuse d'une ombre ou d'une forme indistincte. Ici encore la vision qu'a le photographe de lui-même est exprimée par le vecteur des objets.
Les ombres portées par les chaises abandonnées du Luxembourg ou l'ombre du vélo adossé à un escalier et au dos duquel apparaît un groupe de passants montrent aussi la fragilité des sens qui pourraient nous conduire àconfondre l'objet et son ombre. Mais plus profondément, ces photographies renvoient à la contingence de l'existence qui peut s'annihiler en un instant, laissant subsister une simple ombre.
Dans la dernière série de photographies que KERTESZ a réalisées à la fin de sa vie, après le décès de sa femme, des mannequins translucides sont photographiés en petits polaroïds de couleur. La tête penchéedes mannequins, au travers desquelles se reflètent et se déforment le paysage environnant témoignent de l'extrême tristesse de l'artiste après le décès de son épouse. Le caractère translucide des mannequins permet à nouveau de créer un lien indéfectible entre les humains et leur environnement tout en soulignant la contingence de la vie des premiers qui ne constituent finalement qu'une enveloppe translucide sur laquelle le monde agit.
Quelques liens :
http://alfredo-blogboy.blogspot.com/2010/10/andre-kertesz.html
http://www.franceculture.com/emission-les-mardis-de-l-039-expo.html pour l'émission des Mardis de L'expo consacrée à KERTESZ qui est encore podcastable