Katsuya Tsurumaki (réalisation)
Yoshiyuki Sadamoto (chara design)
Hideaki Anno (gros chat)
OAV 6 pisodes, Gainax, 2000
Ah, ça, j'en ai lus, des avis sur FLCL, alias Furi Kuri ou Fuli Culi ou Fooly Cooly, ou comme vous voulez l'appeler. Pêle-mêle : excessif, déjanté, expérimental, absurde, incompréhensible, génial, con, anormal, pénible, épuisant, loufoque, tordu, jouissif, débile... Bon, voilà donc une OAV qui ne laisse pas de marbre. Mais à part ça? Prenant mon courage (plus une tablette de doliprane) à deux mains, j'ai décidé de me faire ma propre idée. Et alors? Ben, chtarbé, oui, si on s'arrête à la forme. Mais le fond est d'une rare cohérence et c'est réglé comme du papier à musique. Rock'n'roll, bien entendu.
L'histoire :
(Spoil : ce qui suit est le résumé du premier épisode. Rassurez-vous, les cinq suivants sont
impossibles à résumer.)
Venez à Mabase, son fleuve, ses ponts routiers, ses usines... Quoi d'autre? Rien, tout est "normal", se lamente Naota, 12 ans, collégien ordinaire dans une ville morose. Mais à y regarder de plus près, les choses ne sont pas si normales que ça.
Bref, dans ce trou du cul du monde, la vie pourrait s'écouler longtemps ainsi, et y a pas de quoi rire. Mais Naota va être frappé par le destin, et au sens propre. Le destin, c'est une fille aux cheveux roses, sur un scooter jaune, avec une guitare basse bleue. Sur le pont où "habite" Mamimi, elle percute Naota et, pour le ranimer, entreprend un bouche-à-bouche vigoureux. Mais, sitôt après l'avoir ramené à la vie, elle lui balance... un grand coup sur la tête avec sa guitare basse. Puis elle se barre aussi sec.
Plus tard, tout est rentré dans l'ordre. Ou presque : la famille de Naota s'est enrichie de deux nouveaux membres : Haruko, la fille au scooter et à la basse, et le "robot-télévision", qui s'appelle Kanchi, et qui s'avère très gentil. Naota n'est que moyennement rassuré. Qu'est-ce qui l'attend maintenant?
Ce que j'en pense :
Mon impression globale, au terme des six épisodes, c'est de redescendre d'un grand huit à la fête foraine, mais sans la nausée, heureusement. FLCL, c'est speed, azimuté, surréaliste, les six épisodes ont défilé d'un coup sans que je m'en aperçoive. Et je repartirai bien pour un tour.
Mais comme je le disais plus haut, passée cette impression de pur délire, il ressort de ce visionnage une deuxième impression, celle d'avoir assisté à un animé cohérent, à l'histoire prenante et aux personnages attachants, bien dans la ligne des productions haut de gamme de la maison Gainax.
Un pur produit de Gainax
De fait, je n'ai pas pu m'empêcher de chercher et de trouver la parenté entre FLCL et ses glorieux prédécesseurs, et aussi ses successeurs : NGE et Gurren Lagann.
Les histoires, dans des contextes différents, possèdent des points de convergence et une certaine constance dans les thèmes. On suit chaque fois un adolescent, parti de nulle part, jeté au coeur d'une histoire qui le dépasse et dont il va prendre, progressivement, toute la mesure, ce qui va le faire entrer dans l'âge adulte. Chaque fois également, Shinji/Naota/Simon subissent les évènements autant qu'ils les vivent, et ne s'en sortent qu'en surmontant leurs peurs à l'aide de leur entourage.
Devenir adulte, c'est aussi affronter les affres de la puberté. Bon, au départ, Naota n'est pas du tout intéressé par la chose. Les avances de Mamimi le laissent de marbre. Dans la première scène de l'OAV, quand elle lui embrasse l'oreille, il lui demande pourquoi elle fait ça. Le dialogue d'explication est évocateur : [Mamimi] : "Mamimi doit faire ça sinon elle va déborder". [Naota] : "Déborder? Qu'est-ce qui se passe alors?" [Mamimi] : "Sûrement quelque chose de surprenant."
C'en est freudien jusqu'à l'excès. Pour atteindre le next level, les trois héros doivent apprivoiser leur nouvelle virilité, que symbolisent de manière caricaturale la bosse de Naota et le forêt de Simon (et la corne de l'Eva-01 pour Shinji?). Ils se confrontent au père, jusqu'à le tuer ou tout au moins souhaiter sa mort (pour Simon, le roi Hélix est un peu le père symbolique). Ils n'ont pas de mère. Ils ont besoin d'une femme initiatrice, à la fois grande soeur, mère et fantasme, pour apprendre la vie, les rapports homme/femme et la sexualité (Misato pour Shinji, Haruko pour Naota, Yoko pour Simon). Ils lui disent adieu une fois le cap franchi, après maintes difficultés, ayant enfin grandi.
Je ne vous dirai pas la fin, mais elle est prévisible (bien que pour y parvenir, le chemin soit pour le moins tortueux...).
Absurde, oui, et alors?
Un des principaux reproches faits à FLCL est son absurdité. J'ai montré ci-dessus que le fond de l'histoire était simple, et classique pour un Gainax ; ne doutant pas de l'intelligence des autres spectateurs, je suppose que ce reproche d'absurdité provient de la forme. Il est cependant surprenant quand il est exprimé, ainsi que je l'ai lu sur des forums ou des sites ici ou là, par des fanas d'anime, pourtant habitués de l'absurdité intrinsèque à l'animation japonaise. J'ai même vu des fans de TTGL proclamer leur rejet de FLCL...
L'OAV est absurde mais surtout surréaliste, en ce qu'elle utilise toutes sortes de symboles (sexuels, comme on l'a vu plus haut) qu'elle télescope à toute vitesse dans des images chocs, tout droit tirés du rêve ou de l'inconscient, comme si l'équipe de Tsurumaki avait travaillé en écriture automatique - à la façon des Eluard, Breton, Tzara, Desnos et Picabia de la grande époque. La succession de scènes apparemment sans queue ni tête (apparemment seulement!) a pour effet de faire surgir des associations d'idées qui permettent aux auteurs d'atteindre leur but de façon non linéaire. Cela peut perturber les spectateurs dans leur confort, mais pour peu (et j'en suis) qu'on aime se perdre dans les labyrinthes, pour jouir de la perte des repères et de l'instant présent, alors, FLCL s'avèrera une expérience des plus passionnantes. Et sans risque : à la fin de l'histoire, on retombe sur ses pieds.
Un anime sous influence
Dans son interview, Tsurumaki rappelle que FLCL a été voulu comme un anime truffé de culture underground, que ce soient d'autres anime, des films, ou de la musique. FLCL est donc un anime sous influence, avec de nombreuses citations et références. Une référence "Gainaxienne", tout d'abord : le père de Naota a écrit des articles (ou un livre?) sur Evangelion quand il était journaliste. On note également des références directes à South Park (Naota habillé façon "Kenny"), à Lupin III (le père, encore lui, un vrai otaku ce mec, se déguise en Lupin III avec la veste rouge) ou a John Woo (les scènes de gunfight, hyper-chorégraphies et totalement irréelles).
FLCL est aussi un animé très Rock'n'Roll. Sans même parler de la musique, des très bons The Pillows (référence à l'album de Jefferson Airplane, "Surrealistic Pillow"?), il est amusant que l'instrument qui déclenche l'érection la bosse de Naoka soit une guitare basse. Et pas n'importe laquelle, s'il vous plaît ! Une Rickenbacker, celle de Paul McCartney quand il jouait sur Revolver et sur Sergeant Pepper (autre grand moment de surréalisme musical), comme Haruko le dit elle-même. La Rickenbacker était aussi la basse de certains de mes groupes préférés, comme les Kinks, les Jam, les Clash ou les Cure. Sans oublier le plus célèbre des bassistes heavy-metal : Lemmy de Motörhead ! Plus tard dans l'OAV, d'autres guitares électriques (des 6 cordes, pas des basses) feront leur apparition. Notamment la géniale Gibson "Flying V". Et quoi de mieux qu'une guitare pour incarner la rébellion adolescente? Sans parler du symbole de virilité...
Dans sa forme graphique, et dans son humour très particulier, FLCL m'a fortement fait penser à certains films et cartoons burlesques américains, la référence la plus évidente étant South Park, mais j'ai pensé à Tex Avery (pour le côté déjanté), aux Marx Brothers, et à un film un peu oublié et absolument génial, Hellzapoppin. Hellzapoppin est comme FLCL : le titre ne veut rien dire, ou veut dire n'importe quoi, avec autant d'interprétations que de sens possibles. FLCL, c'est Furi Kuri, et certains disent que ça évoque en japonais "caresser" et "tourner", autant dire peloter, les seins des filles par exemple. En anglais, ça se prononce Fooly Cooly, donc "fou" et "cool" à la fois. Enfin, on trouve dans FLCL certains gags qui sont apparus la première fois dans Hellzapoppin : notamment celui où l'action s'interrompt et où les personnages commentent la scène, en comité de visionnage. Où lorsqu'ils s'adressent aux spectateurs, en laissant entendre qu'ils n'allaient rien comprendre. Cette mise en abyme se produit deux fois, aux épisodes 1 et 6.
En conclusion,
FLCL n'est incohérent qu'en apparence. Adolescence, sexe, rock'n'roll, surréalisme, tout est lié. Les figures habituelles du manga et de l'anime, comme le combat de mechas, le "slice of life", la romance, se mélangent à d'autres références moins fréquentes, dans un maelström visuel hautement jouissif, le tout créant une oeuvre authentique et passionnante à chaque seconde. Que ce soient les piliers de Gainax qui nous en aient fait l'offrande, à nous les fans, les happy few, est gratifiant. Pour cela, il faut les remercier.
Cet article vous a plu ?