Spécialiste du XVIIIe siècle des Lumières et de la Révolution française, et auteur de nombreux ouvrages comme L’Aventure de l’Encyclopédie (1982), Gens de Lettres, gens du livre (1992), Pour les Lumières (2002) et Bohème littéraire et Révolution (2010), cet ancien professeur de l’université de Princeton, formidablement érudit, d’une élégance toute bostonienne et s’exprimant dans un français remarquable, livre au Monde Magazine daté samedi 15 janvier sa réflexion sur l’avenir du livre et l’enjeu de la numérisation.
Oui bien sûr, dit-il, la révolution du numérique est bel et bien engagée. Et les livres électroniques qui représentaient 10 % des ventes aux Etats-Unis en 2010 atteindront sans doute 15 %, voire 20 % très rapidement. « Le livre numérique ne chasse pas le livre imprimé, il le renforce », dit-il. Au moins pendant un certain temps. Les maisons d’édition constatent que plus on lit de livres sur une liseuse, plus on achète de livres imprimés. L’appétit ne fait que croître. Ne va-t-on pas imprimer cette année un million de livres nouveaux dans le monde ? « Alors quand j’entends dire : le livre est mort, je réponds : quelle belle mort ! »
UNE BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE GRATUITE
L’expansion d’Internet enthousiasme l’historien qui y voit la possibilité de démocratiser le savoir et de créer enfin une vraie République des Lettres telle qu’elle fut rêvée au XVIIIe siècle. « Vous imaginez, dit-il, la révolution que serait la création d’une bibliothèque universelle gratuite ? »
Mais il juge effrayante la perspective de laisser à Google, entreprise commerciale destinée à dégager des bénéfices pour ses actionnaires, l’initiative de numériser toutes les bibliothèques du monde et de lui confier ainsi un monopole de l’accès à l’information. Et il nous annonce donc son grand projet de créer, aux Etats-Unis, une bibliothèque numérique nationale.
Le projet – un peu tardif, reconnaît-il – a été conçu en octobre 2010, lors d’une réunion des représentants de grandes institutions culturelles comme la Bibliothèque du Congrès, les Archives nationales, des universitaires, des juristes, des informaticiens… et des leaders de grandes fondations privées, lesquels ont accepté d’être les mécènes de cette énorme opération. « Ça fait vingt ans qu’on aurait dû commencer. Mais c’est encore jouable. Ne loupons pas ce grand tournant de l’Histoire. »
Robert Darnton nous décrit aussi le rôle des bibliothèques à l’heure d’Internet. Conserver bien sûr (mais comment archiver blogs, courriels, forums, archives électroniques des chercheurs et Prix Nobel… ?). Orienter les étudiants dans les dédales de l’espace numérique. Mettre le maximum d’informations en libre accès gratuit partout dans le monde. Un rôle plus que jamais essentiel pour garder la mémoire d’une civilisation et ouvrir à tous l’accès au savoir.
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Annick Cojean
Lire l’intégralité de l’entretien avec Robert Darnton dans la zone Abonnés du Monde.fr et dans Le Monde Magazine daté 15 janvier 2011.
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