L'année 2011 comporte un "0" (le chiffre de tous les commencements), et une quantité honorable de "1" (le chiffre du renouveau). Et si le football camerounais, privé de titre majeur depuis huit ans, en profitait pour connaître son printemps ? Comme je le signalais dans un texte récent, c'est le talent qui nous manque le moins : notre problème se trouve dans le "back office", autrement dit dans la gestion globale des affaires du football camerounais en général, et dans celles de l'équipe nationale senior en particulier. Sachant qu'il n'y a rien de bon à attendre de nos (ir)responsables, aussi bien ceux du Ministère que ceux de la Fédération, je préfère m'adresser à Samuel Eto'o. En effet, une grande partie de la solution dépend de l'ambiance dans la tanière, dont il est le capitaine.
Cher monsieur Eto'o,
La situation actuelle de notre football dure tellement longtemps qu'on finit, à force d'habitude, par la trouver normale. Elle est pourtant grave ! Je commencerai par citer un certains nombre d'éléments, sur lesquels vous n'avez pas forcément prise, mais qui permettent de planter le décor de ce désastre :
Depuis 1972, le Cameroun n'a organisé aucune compétition digne d'être signalée. Soit une durée de 39 ans ! Autant dire qu'une génération entière est en train d'atteindre la quarantaine sans connaître le plaisir d'assister de visu à une compétition majeure, et sans la fierté de voir notre pays organiser avec maîtrise et compétence un rendez-vous d'une envergure digne du rang que le Cameroun a atteint dans le concert des nations du football.
Nos championnats nationaux, n'ayant rien gagné en termes d'infrastructures, ont beaucoup perdu en termes de qualité. Résultat : le public considère désormais que rien ne se passe de ce côté-là, et on peut craindre que la génération qui arrive ne connaisse que l'Inter de Milan, le FC Barcelone, Arsenal, l'Ajax, et d'autres équipes, certes sympathiques, mais qu'ils ne verront jamais que sur leur petit écran. Nos clubs, qui ont ajouté à l'incurie et à l'amateurisme la cupidité, ne sont plus que des boîtes vides.
Nos jeunes gens n'en sont pas dupes, et (ont-ils le choix ?) ils ne rêvent que d'ailleurs. Une grande majorité d'entre eux se retrouve piégée un peu partout dans le monde, victime des trafiquants qui animent cette traite des jeunes Noirs. Quant à la politique de formation sur place, elle est plus symbolique que réelle : à la marge de quatre ou cinq centres de formation qui, ayant pignon sur rue, font un travail acceptable, pullulent une quantité incroyable d'officines pompeusement baptisées "Académies", dont la seule raison d'existence est d'alimenter en jeunes gens le nouveau commerce nord-sud dont je parlais plus haut.
En un mot comme en cent la situation est grave : le football agonise au Cameroun. Cela veut-il dire que le football camerounais agonise ?
Depuis 1972, date de la dernière compétition continentale organisée sur les terres camerounaises, les Lions Indomptables ont remporté cinq titres de premier rang (quatre tournois CAN et un tournoi olympique). Toutes ces victoires obtenues loin de nos terres, et auxquelles il faut ajouter la performance historique à la Coupe du Monde italienne de 1990, nous ont hissé au rang de superpuissance du football en Afrique, et ont fait de nous un pays émergent du football mondial.
Vos propres performances en club, de Majorque à Milan en passant par la fabuleuse épopée catalane, ont contribué à maintenir au firmament du football une étoile du Cameroun en manque de lustre depuis la Coupe des Confédérations de 2003. Plusieurs de vos camarades en équipe nationale ont atteint le sommet dans leur carrière individuelle, et sont aujourd'hui des piliers dans leurs clubs : Alexandre Song à Arsenal, Eyong Enoh à l'Ajax d'Amsterdam, Stéphane Mbia à l'Olympique de Marseille et bien d'autres sont des pièces essentielles dans des clubs de premier rang. Il y a seulement dix ans, votre transfert à Barcelone constituait une promotion inédite ; aujourd'hui, nous nous sommes habitués à ces sommets : les meilleurs clubs du monde recrutent nos compatriotes sans que cela ne apparaisse miraculeux à quiconque. Dans le même temps, les performances de l'équipe nationale ont dévissé à la baisse.
J'attire particulièrement votre attention sur cette anomalie : il y a vingt ans, l'équipe nationale du Cameroun, composée de joueurs évoluant dans des équipes de deuxième, voire de troisième rang, battaient les meilleures sélections du monde. Aujourd'hui, la nouvelle génération des Lions Indomptables affiche un tableau qui n'a rien à envier à celui du Brésil, de l'Italie ou de l'Allemagne. Pourtant, il semble impossible de trouver la formule qui additionnerait ces grands talents. Pour l'instant, l'association entre vous produit un résultat négatif sur le terrain (mauvaise performance collective face à des sélections moins huppées) et dans le vestiaire (exclusions, bannissements et fâcheries diverses).
Je refuse de croire que le talent montré par chacun de vous en club, et qui fait notre fierté chaque semaine, reste à la porte de la tanière lorsque vous rejoignez l'équipe nationale. Le problème est ailleurs. Il découle des effets pervers nécessairement produits par la situation générale du football camerounais, dépeinte plus haut ; il procède de l'incapacité technique dont ont souvent fait preuve les sélectionneurs qui se sont succédés aux manettes des Lions Indomptables ; il réside, surtout, dans votre incapacité à travailler ensemble. Le fiasco sud-africain, l'été dernier, fut en même temps l'aboutissement d'un lent processus de pourrissement de l'atmosphère, le révélateur d'une ambiance délétère, et le début d'un feuilleton qui n'a pas finit de nous faire honte.
Vous l'avez sans doute compris, le but de cette lettre est de vous demander d'agir en faveur de l'apaisement et de l'union. Le public, l'équipe nationale, vous-mêmes : tout le monde a intérêt à ce que la sérénité revienne et que le talent de chacun s'associe à celui des autres pour qu'on entre enfin dans une synergie positive. Notre culture n'admet pas que les conflits s'éternisent : prenez l'initiative d'aller vers vos jeunes frères. C'est votre rôle de capitaine et d'aîné. Comme on dit chez nous, "une seule main ne peut ficeler un paquet." Plusieurs médiations pourront se succéder, mais tant que vous, les Lions Indomptables, ne ferez pas la paix entre vous, on continuera de recouvrir un abcès qu'on devrait pourtant vider le plus vite possible.
J'espère que ce texte vous parviendra, et si c'est le cas, je vous conjure de prendre l'initiative du rapprochement : quel est ce conflit entre frères qui ne puisse trouver de solution ? Pour ma part, et j'espère que beaucoup de Camerounais pensent comme moi, huit ans sans titre majeur, c'est long, trop long.
Avec mes cordiales salutations.