Paris, métro Cluny-Sorbonne.Un grand dadais est empêtré dans ses poches. Les gens fuient le chagrin, dévalent les escaliers.Il est 17 heures, une journée consumée à la lueur des néons.Le tourbillon des tourniquets se fait incessant :valse sonore, clac ! Valse sonore, clac !Les messages automatiques s'échappent des quais et s'évanouissent sur la faïence.Le grand dadais reste planté à chercher son coupon.Un homme le regarde. Cet homme a le temps, l'éternité pour lui.Il prend son portefeuille et lui tend un ticket.Il marmonne quelque chose, n'attend rien en retour.Cet homme, c'est Cavanna.C'était, il y a deux ans, peut-être trois ou quatre...il ne l'écrira pas parce que ça n'a pas d'importance mais c'est le genre de geste qui résume le bonhomme.
François Cavanna ne se raconte pas, il raconte les autres, celles et ceux qui ont croisé ses pas : Miss Parkinson et sa terrible emprise ;
Virginie, la petite Virginie qui paraît si craquante qu'il nous en rendrait dingues ;
Choron, bien sûr et sa femme, ses amis, ses amours... Cavanna se fait spectateur de lui-même. Une sorte de quidam embarqué dans la vie. Il raconte son parcours avec une simplicité et une humilité désarmantes. Pris dans les évènements, il fait avec, il compose. Parfois, il les bouscule, il les provoque mais parce qu'il faut avancer, faire passer les épaules. C'est tout ; de la débrouille, de la survie et des rencontres. C'est la vie ordinaire d'un homme peu ordinaire (ou le contraire). Des décennies de ruades placées dans un haussement d'épaule. " C'était comme ça, voilà tout. " semble-t-il balayer. On va pas en faire un fromage.
Pourtant, Cavanna, c'était des coups de gueule, des colères,
un rire plein de tendresse et une bonté à toute épreuve,
un enthousiasme et une curiosité insatiable. Cavanna, c'était le maçon devenu écrivain, c'était les dessins, c'était la liberté.
Enfant, Cavanna était mon héros, intègre, invulnérable, mon ancêtre Astérix.Coincé entre la violence sourde et rigoriste d'une école religieuse et le rire explosif et régénérateur d'Hara-Kiri, j'avais choisi mon camp.
Lune de Miel.
Je prends son livre à rebours. Je pioche dans les chapitres, au p'tit bonheur ; quelle chance !J'approche sa romance, j'aime voyager du pays des souvenirs à celui du présent.
Que d'années ont coulé sous les ponts...
Que de mélancolie dans la voix malgré le rire qui pointe sous la moustacheet l'Amour, toujours, qui balance des œillades.Que de pages magnifiques ! Les mieux écrites, peut-être, qu'il n'ait jamais offertes !
Sur Virginie d'abord, accompagnatrice des derniers jours dont on tombe éperdument amoureux (dans Aladin et dans d'autres chapitres, avant et après...), sur les rapports homme-femme, vieil homme-jeune femme (ce que l'on peut chercher à 80 balais), sur la camaraderie (page 210), sur le métier d'écrire (quel superbe chapitre que Devenir écrivain ! )...
La Lune de Miel (la période où la maladie de Parkinson se met en pause) peut durer, Cavanna est toujours un grand Homme, fragile mais frondeur, sensible, terriblement sensible.
Il est la figure du père (le croirait-il, lui qui livre une vision si précieuse de la non-paternité, à la fois rare et honnête, à rebrousse-poil de la pensée générale, dans le chapitre sur les têtes blondes ? ).
Il est ma république, mon sentiment français, ma non-renonciation.
Cavanna, je vous aime.
À voir un passage très émouvant dans Choron Dernière de Pierre Carles où il évoque ses relations avec Georges Bernier.On peut aussi écouter Radioscopie, émission du 30 Avril 1975 où Jacques Chancel le reçoit.
Lune de Miel de François Cavanna aux éditions Gallimard, 2011.
- Monsieur -