" Venue de rien, des chiffons et de l'eau pure, du désir d'un homme épris d'une belle matière et de ses traditions, c'est une simple feuille, une feuille blanche, une feuille de papier d'Auvergne " - Pierre Seghers
Berceau de la papeterie française, la région d'Ambert conserve le dernier témoin des origines de cette industrie en France.
Dans la fraîcheur du Val de Laga on entend, comme un lointain tambour, le martèlement sourd et cadencé des maillets qui emplit l'étroite vallée. Ce rythme accompagne la vie paisible du Moulin Richard de Bas.
Celui-ci abrite le Musée historique du Papier, créé en 1943 par la Feuille Blanche, Association des Amis du Papier et des Arts Graphiques, qui rassemble tous ceux portant intérêt au papier, à l'imprimerie et au livre.
Ses collections comportent d'innombrables documents historiques, du matériel et des objets qui retracent la longue histoire du papier et son cheminement depuis les confins de la Chine jusqu'en Europe. Il se veut le symbole de cette grande industrie qui est celle du papier qu'on dit être " une matière noble issue de vieux linges ".
Le XXe siècle a apporté des techniques nouvelles par l'utilisation du bois de nos forêts mais les principes de fabrication sont restés les mêmes.
Le Musée historique du Papier montre le cadre de vie des Maîtres et des Compagnons papetiers dans les siècles passés. Son authenticité justifia son classement comme Monument historique. C'est une grande leçon de choses qui est donnée ici, dans ce moulin témoin des premiers ages de l'industrie française du papier.
Le Musée historique du Papier est un haut-lieu de la culture et un " musée du travail " en constante et réelle activité.
Texte de Marius Péraudeau
Vieux chiffons, pâte à papier... papier à fleurs
En achetant, en 1643, un moulin à papier qui fonctionnait déjà, Antoine Richard lui donna son nom et, comme les autres papetiers, il protégea son labeur par de lourdes grilles. Comme il faut de l'eau pour faire le papier, les hommes l'ont captée parmi les dévalements du torrent et, assagie, elle s'achemine vers le moulin.
Il faut aussi de vieux chiffons blancs. Ceux qui restent des dures chemises de nos grands-mères, en toile de lin et de chanvre, sont les meilleurs. Le triage doit être minutieux. On les coupe en petits morceaux sur une table de granit qui porte la date de son installation. Les lourds maillets, en bois de pin, vont défaire, par leur mâchoire d'acier, ce que le tissage avait fait.
Les chiffons retrouvent lentement leur état originel : les fibres de cellulose végétale.
Il faudra une trentaine d'heure pour préparer la pâte à papier, bien lavée par l'eau des sources et, enfin, la verser dans la cuve. C'est ici que naissent les " feuilles blanches " créées par la main des hommes avec la connivence de l'eau.
Les fibres de cellulose en suspension dans la cuve sont habilement puisées par l'ouvreur, celui qui fait l'ouvrage. Il utilise la forme qui n'est qu'une passoire... mais quelle passoire ! L'eau est le véhicule provisoire de la masse fibreuse. Elle s'élimine déjà par l'égouttage qui ne dure que le temps de glisser la forme au compagnon de travail : le coucheur.
Mais l'eau est, ici aussi, prépondérante car les millions de fibres recueillies n'ont pas encore trouvé leur cohésion pour constituer une feuille.
Dans le demi-jour des salles voûtées construites au XVe siècle, le papetier est le maître de la cuve. Ses gestes sont simples, précis et harmonieux.
Le coucheur vient d'apposer sur le feutre la forme recouverte de pâte à papier, la couche de fibre quitte le tissage de fil de laiton qui a permis le premier égouttage : c'est l'action qui semble magique.
La pressage est une opération afin que les feuilles sèchent dans les meilleures conditions. On le commence par deux hommes, puis par quatre en s'aidant du cabestan qui multiplie l'effort.
La pression exercée sur les feuilles d'un format usuel est de quarante tonnes environ. La plus grande partie de l'eau est ainsi éliminée grâce à la capillarité des feutres qui sont des tissus de pure laine. A la fin du pressage, le volume a diminué. La presse est alors débloquée et l'énergie contenue dans les feutres se libère d'un seul coup.
Le levage des feuilles blanches est très délicat. Il faut séparer les feutres et les couches de pâte à papier qui sont devenues des feuilles. C'est leur vraie naissance dans l'envoi harmonieux de la nappe humide.
L'enchevêtrement des millions de fibres de cellulose qui constituent chaque feuille a donné suffisamment de cohésion à l'ensemble pour que l'on puisse manipuler tant de fragilité.
Les feuilles sont posées l'une sur l'autre, sans les serrer, soutenues par un plateau de bois. C'est sur la tête qu'elles seront portées vers les étendoirs qui les attendent face aux monts du Livradois.
Suspendues aux cordes tendues, les feuilles vont équilibrer leur humidité interne avec celle de l'atmosphère ambiante : plus cet échange est lent, meilleur il est.
C'est en 1950 que furent imaginés, au moulin Richard de Bas, les papiers comportant en inclusions des pétales, fougères et graminées.
Les papiers à fleurs étaient nés et furent aussitôt appréciés pour l'impression des textes poétiques. Les papiers destinés aux livres des bibliophiles, aux estampes, gravures et lithographies font l'objet d'un triage attentif : chaque feuille est examinée soigneusement sur ses deux faces. Chaque défaut - si petit soit-il, fait éliminer la feuille qui est classée en second choix et n'est jamais vendue. C'est une règle absolue.
Les barbes naturelles sur les quatre bords de la feuille sont quelquefois inégales mais elles constituent un des charmes des papiers à la main comme l'est aussi le grain de leurs deux faces : l'une garde plus ou moins l'empreinte originelle laissée par la toile en laiton tissée de la forme, l'autre n'est marquée que par le feutre sur lequel on l'a couchée. Quelle union ! Les papiers à la main ont le droit à la différence.
Le Moulin de Richard de Bas produit quelques 200 feuilles de papier par jour.