Sur la paisible terre de Canis, d’étranges envahisseurs arrivent un jour, équipés d’armes comme personne n’en a jamais vues dans ce pays. Ils détruisent le château du roi et enlèvent sa fille pour la ramener à leur chef. Mais à leurs trousses, il y a Rolf, le chien fidèle de la princesse, qui aime autant sa maîtresse qu’elle l’aime en retour. Suite aux maléfices d’un sorcier, Rolf n’est plus un chien, sans être vraiment un homme non plus. Juste un monstre à mi-chemin entre les deux. Mais un monstre fou d’amour…
À ma connaissance la plus ancienne production de Richard Corben disponible en français, Rolf se caractérise par une démarcation aussi inattendue qu’originale sur le thème classique de La Belle et la Bête ; sauf qu’ici la Bête n’a pas perdu son humanité suite à une malédiction puisqu’elle n’en a jamais eu pour commencer. Le schéma bien connu se trouve simplement inversé en fait, ce qui reste une méthode de création d’autant plus efficace qu’elle est pratiquée depuis longtemps – et pour autant que l’auteur ait eu conscience d’adopter un tel procédé : ce récit, après tout, débute comme un conte de fée tout ce qu’il y a de plus traditionnel, jusqu’à ce que…
On y trouve déjà tout ce qui fait la spécificité de Corben : l’exaltation de la force brute ; le mélange des thèmes et des époques à travers une sorte de postmodernisme bien avant l’heure ; la belle aux seins lourds ; l’ultra-violence vide de sens et encore plus de morale ; l’iconographie démonologique, ou assimilée ; un style graphique au dynamisme d’autant plus rare que peu d’auteurs ont su l’égaler depuis ; et plus que tout, ce concept si typiquement américain de la liberté de se donner les moyens de prendre tout ce qu’on veut sans donner de prétexte et encore moins d’excuse – ce qui suffirait à taxer Corben de réactionnaire, voire de fasciste, mais je préfère le voir comme un libertaire : les artistes, en effet, ont cette boulimie de liberté qui les empêche le plus souvent d’imposer quoi que ce soit aux autres.Bref, Rolf a beau être une œuvre de jeunesse, elle n’en demeure pas moins emblématique, ou en tous cas révélatrice : à travers elle, le lecteur aura l’opportunité de découvrir les caractéristiques principales d’un auteur alors en devenir mais appelé néanmoins à signer des œuvres qui comptent encore parmi les plus importantes de la culture comics des années 70 et 80. Mais c’est aussi un récit émouvant par le portrait qu’il dresse d’un animal élevé au rang de presque homme, et qui n’oublie pas pour autant quels sentiments le lient à sa maîtresse : s’il va jusqu’à tuer pour elle, il saura néanmoins quand se rebeller contre l’ordre établi qui voudrait le garder au bout de cette laisse qu’un homme libre ne peut supporter…À noter que cette réédition se double du récit court La Bête de Wolverton (1972-1979) qui, à partir du thème voisin de l’homme-loup, nous montre un Corben assez sensible aux racines saxonnes et celtiques du peuple américain. Ici, le monstre est un homme simple qui a dû accepter la possession par une entité divine afin d’obtenir le pouvoir de vaincre les oppresseurs de son peuple ; mais cette possession devient vite une malédiction dont ne pourra le libérer qu’un exorcisme pour le moins… particulier.Avec ces deux récits indépendants qui sont autant de facettes distinctes – bien qu’axées autour de thèmes similaires – d’un auteur majeur du comics underground, Rolf demeure une excellente introduction à l’œuvre pour le moins atypique d’un Richard Corben alors en plein ascension vers une gloire bien méritée.
Note :
Si au départ Rolf est un comics entièrement en noir et blanc, la version proposée dans cette édition est colorisée, au contraire de sa première édition française de 1975.
Rolf, Richard Corben, 1971
Les Humanoïdes associés, 1980
64 pages, entre 5 et 30 € (occasions seulement)
- Corben… or « when Dreams collide »… : un article de fond sur BD Paradisio (fr)
- bibliographie des œuvres parues en français
- le site officiel de Richard Corben