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Vermilion Sands

Publié le 16 janvier 2011 par Pagman

 

LES STATUES QUI CHANTAIENT

Hier soir, quand l'air du crépuscule venu de Lagon Ouest a gagné le désert, j'ai de nouveau entendu des fragments de musique portés par les rouleaux thermiques, échos frêles et lointains du chant d'amour de Lunora. Traversant le sable cuivré, je me suis rendu jusqu'aux récifs où poussent les sculptures soniques et là, dans l'obscurité, j'ai parcouru les jardins métalliques à la recherche de la voix de Lunora. Aujourd'hui, plus personne ne s'occupe des sculptures et la plupart ont fini par germer, mais obéissant à une impulsion subite, j'ai coupé une hélice et je l'ai rapportée jusqu'à ma villa pour la planter au milieu du parterre de quartz, juste sous le balcon. Toute la nuit, elle a chanté pour moi, évoquant Lunora et la musique étrange qu'elle ne composait que pour elle.

Ma première rencontre avec Lunora Goalen doit remonter à un petit peu plus de trois ans. C'était à la galerie de Georg Nevers, sur Beach Drive. Chaque été, lorsque la saison battait son plein à Vermilion Sands, Georg montait une exposition spéciale de sculptures soniques à l'attention des touristes. Peu après l'ouverture, un matin, j'étais assis à l'intérieur de ma grande statue, Orbite Zéro, en train de brancher des amplificateurs stéréo, quand soudain Georg poussa un cri dans le micro épidermique et un épouvantable fracas faillit me faire exploser les tympans.

Le crâne vibrant comme un gong, je m'extirpai de la sculpture, prêt à coiffer Georg avec la maquette la plus proche, mais celui-ci porta à ses lèvres un doigt élégant et me lança ce regard bien particulier qui, entre artiste et commerçant, signifie : Client riche.

Les sculptures placées au début de la galerie s'étaient mises à bourdonner, mais la lumière éclatante que renvoyait le capot d'une Rolls Royce blanche garée devant la boutique m'empêcha, l'espace d'un instant, de distinguer la personne qui venait d'entrer.

Et c'est alors que je la vis, voletant autour du présentoir de périodiques d'art, accompagnée de sa secrétaire, une grande Française aux lèvres pincées que les magazines d'actualité avaient rendue presque aussi célèbre que sa maîtresse.

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Lunora Goalen, songeai-je, est-il possible que tous nos rêves se réalisent ? Elle portait un ruban de soie bleu que je vis miroiter comme de la glace lorsqu'elle se dirigea vers la première statue; une toque de violettes noires dissimulait son visage ainsi que ses grosses lunettes noires, cauchemar des cameramen. Tandis qu'elle contemplait la statue, l'un des frénétiques enchevêtrements signés Arch Penko qui ressemblait à une roue de bicyclette sans jante, dont les rayons vibraient et rugissaient, Nevers et moi prîmes involontairement appui contre l'aile de ma sculpture.

Il est sans doute vrai, en général, que l'espèce la plus calomniée sur Terre est celle des riches mécènes de l'art moderne. Le public se moque d'eux, les marchands les exploitent et les artistes eux-même les considèrent comme de simples pourvoyeurs. La superbe collection de sculptures soniques sur la terrasse du palazzo vénitien de Lunora Goalen et les millions de dollars que celle-ci avait généreusement dépensés pour décorer ses appartements à Paris, à Londres et à New York représentaient la liberté et la vie pour des dizaines de sculpteurs, mais rares étaient ceux qui en étaient reconnaissants à Miss Goalen.

Apparemment, saisi par un trac soudain, Nevers hésitait; je lui poussai le coude.

"Allons, dis-je, c'est l'apocalypse. Il faut l'accueillir."

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Cet extrait est tiré de Vermilion Sands, de J.G Ballard que j'ai mis dix ans à trouver car épuisé depuis longtemps mais qui vaut son pesant d'années d'attente tant c'est un livre d'un rare poésie. "Crash" du même auteur, est extraordinaire aussi, un peu moins poétique mais beaucoup plus facile à trouver.

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