Ce qui se passe en Tunisie nous donne quelques leçons de courage. Hommage d'abord au jeune Mohamed Bouazizi, ce jeune garçon de 26 ans, étudiant chômeur survivant grâce aux fruits et légumes qu'il vendait dans la rue, à Sidi Bouzid. Un policier a saisi sa marchandise, l'a frappé, lui a craché dessus. Il a voulu aller plaider sa cause au gouvernorat de la Province : peine perdue. Alors, il s'est aspergé d'essence et s'est immolé devant les grilles. C'était le 17 décembre 2010. Les manifestations ont commencé le lendemain, libérées par ce geste désespéré mais terriblement lucide.
Plus de perspective dans une économie confisquée par des accapareurs. Rien, juste crever. Alors crever dignement, en crachant à la face du monde qui vous bastonne. Mohamed est mort le 4 janvier 2011. Il avait reçu entretemps la visite du futur ex-Président Ben Ali, qui avait entouré sa mère de promesses d'emploi pour son fils, tout en vouant aux gémonies les fauteurs de troubles qui avaient le front de réclamer la justice et du pain, en lieu et place du bâton et de la faim. Ses derniers mots à sa mère ont été «Pardonne-moi, si je t'ai désobéi, adresse tes reproches à notre époque, pas à moi...».
L'une de ces lettres a résonné avec la Tunisie. En soi, ce qui s'y passe n'est jamais que l'histoire sans cesse recommencée de l'émancipation des peuples, de ces révolutions qui travaillent les tripes des nations quand elles ne peuvent plus digérer le magma infâme de la dictature de la vie et de la pensée. Tchécoslovaquie (avec un Jan Palach, compagnon de refus de Mohamed Bouazizi), Nicaragua, Portugal, Roumanie, Pologne, Ukraine...
J'en suis encore tout bouleversé. L'amour se conjugue ici avec l'absence, la présence étant synonyme de réception à coups de galets. J'aime à penser qu'on me recevra un jour à coups de galets ou de pommes de terre, s'il me prenait l'idée d'oublier où se situe mon devoir.
Illustrations : Plon, AFP, DR