François VALLEJO
4ème de couverture
« Les trois filles s’étaient regardées en entrant, les mêmes yeux gris, et tues une demi-heure. Des têtes butées : on voulait bien comprendre, quelques mois après le décès accidentel de leur dernier parent. Après tout, qu’elles se butent, si elles se soumettent à la décision du juge et du Conseil de famille.
Elles ont échangé un nouveau regard triangulaire … ça part de Sabine, elle attrape l’oeil de Marthe sur sa droite … Judith, à sa gauche, le devine, tourne la tête et capte le mouvement de paupières … les aînées attendent le renfort de la dernière, c’est fait, elles se lancent, alors qu’on ne leur demandait rien. La triple voix monte, couvre les autres : Disons-leur, Judith, Marthe, oui, Sabine, puisque personne n’en parle … l’anniversaire, ils n’ont pas dû faire attention à la date … je croyais qu’ils le savaient, c’est aujourd’hui, la date, dis-le, Marthe, ça change tout.
Monsieur le Juge, qu’attendez-vous pour les faire taire ? »
Au poker, le Brelan est la réunion de trois cartes de même valeur.
C’est ce que pensent en effet ces trois sœurs, que l’union fait la force et qu’à elles trois, elles pourraient déplacer les montagnes et obtenir tout ou presque ce qu’elles désirent, alors que sans l’une des trois tout devient plus compliqué, difficile…
Il faut dire que toutes jeunes déjà, elles se retrouvent orphelines et doivent prendre leur destin en main. Refusant l’avis du juge et celui unanime de la famille qui voulait les confier à leur tante Rose, Marthe, Sabine et Judith obtiennent, par un subterfuge astucieux, de rester indépendantes : Marthe, l’aînée, a en effet 21 ans le jour même du jugement, ce qui lui permet de prendre la tutelle de ses sœurs.
Mais les trois jeunes femmes ne réalisent pas vraiment ce que sera leur vie, ni comment elles devront s’en sortir, ne serait-ce que financièrement. L’ainée, lucide et raisonnable est vite obligée de se mettre à travailler pour faire manger ses sœurs, qui elles, s’enferment dans leurs chimères, surtout la dernière, révoltée et totalement utopique. Sabine, la seconde, a beaucoup d’ambition et ira trouver en Allemagne l’homme qu’elle imagine pouvoir assouvir ses désirs d’argent et de puissance. Chacune des trois, tour à tour tentera à sa façon de s’éloigner du trio, de s’en détacher, de vivre et de penser de manière autonome, mais les liens du sang entre ces sœurs-là sont si puissants qu’à chaque fois elles se retrouvent, qu’elles n’arrivent pas à s’émanciper de cette famille.
Il y a bien tante Rose, qui guette le moindre faux pas avec malveillance, pour se venger d’avoir été spolié de cette tutelle (elle aurait bien aimé récupérer la maison…) et puis aussi la grand-mère Madeleine, qui perd souvent la tête mais voudrait aider les filles, et fait souvent plus de mal que de bien sans s’en rendre compte. Et puis il y a aussi le cabinet d’architecte Cicéro, l’ancien associé du père décédé, dans lequel les filles iront travailler, quelques rencontres qui ne tiendront pas sur la durée, des désirs ou des amours avortés…
Ce roman est absolument superbe et je l’ai dévoré de bout en bout. Une fois de plus totalement sous le charme de l’écriture de François Vallejo (dont j’ai déjà lu Ouest, sublime, et Madame Angeloso, très beau également). Ce trio de sœurs est tout aussi émouvant qu’étouffant, on admire cet amour constant, cette fidélité aux liens du sang, tout en se désolant de la vie de ces trois sœurs, qui ne se rendent pas compte que leur force, au départ, devient une faiblesse en vieillissant, et qu’à trois, elles ne font que se scléroser les unes les autres.
A lire !
(et ouf, je n’ai pas de sœur !)
Prêt de Yohan, que je remercie beaucoup ! Lu par Laurent, Fashion, Lili Galipette, Livrogne... et sûrement beaucoup d'autres que j'ai oubliés !