Il me restait à découvrir l’enregistrement de Riccardo Muti, acheté récemment sur un site allemand fort complet http://www.jpc.de/ (attention les frais de port sont souvent importants, mais la livraison est rapide et le choix bien plus large que tous les sites français habituels). J’ai reçu l’enregistrement (GALA GL 100.611, 3CD) dont le son est correct, et qui permet en tous cas d’établir les comparaisons qui manquaient à mon regard sur cet opéra.
Renata ScottoIncontestablement, les atouts de l’enregistrement sont d’abord Muti et Scotto, puis Bruson et Raimondi. Veriano Lucchetti est un très bon ténor, mais il semble être bien à la peine dans la deuxième partie et notamment au quatrième acte (exactement comme Chris Merritt dans les représentations de la Scala).
Moins techniquement spectaculaire que dans son enregistrement avec Gavazzeni (une dizaine d’années auparavant il est vrai), Renata Scotto est chez Muti plus vivante, plus engagée, et impeccable, elle est définitivement la grande Elena de ces années-là. Bruson est aux débuts de la carrière que l’ont sait et il est somptueux, Raimondi est bien meilleur que chez Gavazzeni, la voix s’est assombrie (c’est le moment où il va aborder Boris), mais garde cette brillance qui la caractérisait alor. Au total, un quatuor vocal plus que solide, petites faiblesses de Lucchetti mises à part, accompagné par un orchestre étourdissant.
Riccardo Muti est alors au sommet de son art, dans cette période de sa vie où dominent son engagement, sa manière d’imposer un style brutal, violemment contrasté, incroyablement énergique, mais capable de modulations de rêve, de douceurs, de retenue aussi. Et avec tout le ballet!
Il a dit plus tard que s’il avait continué à diriger comme cela, il aurait brisé sa carrière. Voire. Muti est un intuitif, un sanguin, mais aussi un inquiet. On l’a accusé alors d’être superficiel et de rechercher l’effet. Rien n’est plus faux, car rien n’est gratuit dans sa manière d’aborder les oeuvres. Il collait à ces oeuvres en leur donnant une incroyable vitalité, un bouillonnement qu’on a des difficultés à trouver dans ses productions plus tardives, notamment verdiennes. J’ai plusieurs fois souligné dans ce blog combien ses productions scaligères à partir de 1991 était soucieuses d’être l’expression d’une pensée mûre. A l’époque, je disais “aïe, quand Muti se met à penser, il fait moins de musique”. Nous aimions le Muti qui laissait libre cours à sa créativité, à ses intuitions à ses sensations.
Son dernier Trovatore à la Scala fut à ce titre absolument mortel de fausse profondeur. Beaucoup de vieux spectateurs de la Scala avaient la même impression: que le Muti de Florence reste incomparable, sensible, intuitif, ou du moins le seul à soutenir la comparaison avec l’autre astre verdien, Claudio Abbado, avec des moyens et des points de vue radicalement opposés.
Alors, il est difficile de choisir, je maintiens que l’approche de Levine dans le disque officiel avec Domingo et Arroyo reste la référence pour moi pour entrer dans l’oeuvre. Incontestablement le ténor à entendre est Nicolaï Gedda au MET avec Caballé. Mais si l’on veut une référence “live”, on choisira cette version de Muti.
Et aujourd’hui, qui pourrait s’y coller ?
Dans les chefs, les jeunes, je vois Andris Nelson ou Gustavo Dudamel, qui ont la dynamique voulue pour ce type de répertoire. Dans les moins jeunes, Pappano bien sûr, le grand verdien actuel à mon avis. Mais on peut encore faire confiance à Muti s’il s’appuie sur un quatuor de choc: on a le ténor voulu, c’est Jonas Kaufmann, qui a la voix “technique” et la maîtrise (il serait idéal techniquement dans la version française), mais le timbre est peut-être trop sombre; Francesco Meli pourrait être une alternative, moins prestigieuse, mais cette voix rompue au répertoire bel cantiste pourrait se frotter à Henri (moins peut-être à Arrigo). Je ne pense pas que Grigolo ait le style voulu malgré son timbre solaire. Alagna jadis aurait pu..mais….
Dans Elena, Anja Harteros aurait l’intensité, le physique, la dramaticité voulue… et aussi la technique. Dans Monforte, pourquoi pas Mariusz Kwiecien. Reste Procida pour lequel je vois bien un René Pape qui chante Philippe II régulièrement, ou Giacomo Prestia, qui a l’avantage d’être italien. Bref, on pourrait monter des Vespri (ou des Vêpres) acceptables aujourd’hui…
Faites-vous plaisir, faites-moi plaisir, écoutez les Vêpres Siciliennes, ou faites le voyage de Genève cette saison, l’oeuvre en vaut la peine.