Pourquoi notre époque agitée par des révolutions et des contre-révolutions peut s'ouvrir vers l'émancipation humaine
J'écrivais dernièrement dans un texte que j'ai adressé à quelques amis la phrase suivante qui a suscité une demande d'xplication : "Nous vivons la plus grande crise de l'époque contemporaine, celle qui résulte de la contradiction entre l'explosion des forces productives et l'étau insupportable dans lequel le capitalisme les enserre : analyser cette réalité est la condition fondamentale pour envisager une perspective politique" J'ai donc rédigé le développement suivant afin de préciser ma pensée.
La phrase où j'évoque l'explosion des forces productives est un condensé imagé de l'observation que Karl Marx fait de la contradiction entre ces forces et le régime de la propriété privée des moyens de production dans le capitalisme.
Il me semble que Marx est clair concernant les forces productives, il les définit historiquement d'ailleurs dans le "Manifeste", quand il écrit : "La bourgeoisie, au cours de sa domination de classe à peine séculaire, a créé des forces productives plus nombreuses; et plus colossales que l'avaient fait toutes les générations passées prises ensemble. La domestication des forces de la nature, les machines, l'application de la chimie à l'industrie et à l'agriculture, la navigation à vapeur, les chemins de fer, les télégraphes électriques, le défrichement de continents entiers, la régularisation des fleuves, des populations entières jaillies du sol - quel siècle antérieur aurait soupçonné que de pareilles forces productives dorment au sein du travail social ? "
Il s'agit bien de l'évolution de l'outillage matériel et conceptuel des sociétés humaines, de leurs sciences et techniques à une époque donnée qui entrent effectivement en contradiction avec l'organisation de la société à un moment donné. C'est cette contradiction interne à la société, caractérisée par la lutte de classes, qui la meut et appelle une nouvelle organisation de la société.
Il me semble que l'évolution de ces sciences et techniques, des connaissances et de leur mise en œuvre dans le travail social, ont connu un bond qualitatif et quantitatif phénoménal durant les deux derniers siècles, un essor que jamais l'humanité n'a connu en terme spatio-temporel et que Marx avait prévu comme constitutif du développement capitaliste.
C'est en ce sens que je parle d'explosion des forces productives. C'est en ce sens qu'il s'agit d'une révolution inédite sans doute d'une immense portée historique, comme fut celle du néolithique pour l'humanité. Marx ne pouvait pas évoquer l'intelligence artificielle, les ordinateurs, l'internet, appliqués à l'agriculture, l'industrie, au commerce et à la finance ou encore les nano-technologies, les bio-technologies, etc....
Ces outils, la bourgeoisie les voit principalement et d'abord sous l'angle de leur valeur marchande, pour elle ils n'existent que pour produire du capital, et si elle y trouve une valeur d'usage c'est soit pour le compte de sa propre domination politique soit sous l'angle du cycle Argent-Marchandise-Argent. Or ces outils qui sont le produit d'un immense travail social accumulé en eux, détiennent lors de leur mise en œuvre par le travail vivant de prodigieuses capacités de transformation de la matière; ils révèlent leur puissance sociale dès lors qu'ils sont utilisés, non plus sous l'angle unique de leur valeur marchande mais sous celui de leur valeur d'usage et de plus en plus d'usage social.
Ils se révèlent, avec leur mise en mouvement par la classe laborieuse, comme de puissantes forces productives qui si elles étaient totalement socialisées, en devenant propriété de la société toute entière, pourraient être orientés vers la satisfaction des besoins de l'immense majorité. Ainsi l'augmentation de la productivité est une donnée majeure de la période capitaliste, elle se manifeste par la tendance à la baisse du taux de profit. En effet Marx fait cette découverte fondamentale selon laquelle plus la masse de travail vivant diminue pour mettre en oeuvre la masse de travail matérialisé (ou travail passé incorporé dans les machines par exemple) plus le taux de profit baisse . C'est parce qu'il a mis en évidence la composition organique du capital que Marx démontre ce qui était un mystère pour les économistes bourgeois jusqu'alors qui ne trouvaient pas l'explication de cette tendance à la baisse générale du taux de profit alors que le capital général s'accroit. Le dilemme dès lors pour les capitalistes est comment assurer un taux de profit constant ou en augmentation alors qu'il y a de plus en plus de capital accumulé et qu'au sein de ce capital la proportion de travail vivant est en baisse relative, et que c'est sur le travail vivant que se réalise la plus-value capitaliste.
Sans rentrer dans les détails, Marx apporte la démonstration de cette loi dans le "Capital" ( chapitre XIII - Troisième section du - Livre 3 - Edition du Progrès - Moscou 1986).
Mon hypothèse pour les années à venir : Si les outils du néolithique ont permis le développement de l'agriculture et de l'artisanat conduisant l'humanité à passer de l'ère de la prédation à l'ère de la production , les outils de notre époque intégrant l'intelligence artificielle peuvent permettre à l'humanité de passer de l'ère de la production ouvrière à celle de la cyber-automation autrement dit de la production intégralement pilotée par des machines programmées selon les besoins de la société et qui ne peut se concevoir que par une révolution consistant pour les prolétaires à s'approprier les moyens de production, à utiliser ceux-ci dans le but de satisfaire leurs besoins dans une phase de transition remettant l'économie sur ses pieds avec le cycle Marchandise-Argent-Marchandise, puis à terme dans des transactions sans argent et à chacun selon ses besoins.
En bref, émanciper le prolétariat du salariat et par conséquent passer de l'ère du travail à l'ère de l'activité et de la créativité libre de tous les individus.
A contrario la classe dominante utilise déjà ces outils pour surexploiter les prolétaires et pourrait maîtriser de plus en plus leur puissance pour organiser une transition vers une techno-barbarie, une forme de cyber-esclavage post-capitaliste, une forme de solution à l'envers qui résoudrait la contradiction capital/travail par une régression de civilisation phénoménale, un retour à une société fondée sur l'esclavage mais avec des moyens de coercition autrement plus précis et massifs que jadis. Je ne crois pas à la linéarité de l'Histoire, au contraire, l'histoire est le produit de la lutte des classes qui elle-même n'est pas prédéterminée mais s'affirme en tendance des possibles. D'où (pour faire vite) la nécessité d'une organisation révolutionnaire de la classe en classe consciente de ses capacités historiques.