Hiver 1982, dans l’Antarctique. Des chercheurs américains voient arriver à leur base un chien poursuivi par des hommes en hélicoptère. D’autres chercheurs, norvégiens, mais armés et qui veulent la peau de l’animal, jusqu’à blesser un des américains. Ces derniers se défendent et l’hélicoptère explose en tuant ses passagers. Pourquoi poursuivaient-ils ce chien ? À première vue, il n’a rien de spécial… Mais après que les américains l’ait enfermé avec leurs animaux, il devient… une chose qui attaque les autres bêtes du chenil.
Après enquête, ils comprennent que les norvégiens ont découvert un spécimen dans la glace. Qui vient d’un autre monde. Qui hibernait depuis des dizaines de milliers d’années. Et qui a la faculté d’imiter n’importe quel être vivant. Comme un chien par exemple. Ou un être humain… Alors, quand l’un des américains est retrouvé mort, le doute s’installe : lequel d’entre eux a été contaminé ?
Lequel d’entre eux est la chose ?
En dépit d’une filmographie aux qualités inégales – mais il vous ait peut-être arrivé de remarquer qu’« inégal » est une anagramme de « génial » –, John Carpenter offrit malgré tout une invention importante au cinéma : ce procédé de mise en scène qui consiste à filmer dans la même image le tueur et sa victime alors que celle-ci ne se doute encore de rien ; procédé qu’il étrenna dans Halloween : La Nuit des masques (1978), en lançant ainsi véritablement – et tout aussi involontairement – le genre des slasher movies caractérisé par la mise en scène des meurtres d’un tueur psychopathe qui massacre un par un des adolescents à l’aide d’une arme blanche. Toute la différence entre ces imitations d’Halloween… et le film de Carpenter réside dans le procédé de mise en scène déjà évoqué.
Le slasher type, en effet, se contente de faire suivre au spectateur une victime, la plupart du temps hurlante et se débattant comme un beau diable afin de tenter d’échapper au psychopathe, pour au final montrer celle-ci subitement rattrapée et massacrée à grand renfort de jets de sang à travers l’utilisation d’ustensiles tous plus exotiques – et souvent improbables – les uns que les autres. Mais Halloween… se caractérise par une montée progressive de la tension et du suspense, en cadrant le tueur et sa proie le long d’une filature par exemple, ou bien en montrant le tueur armé d’un simple couteau arriver lentement derrière sa victime alors que celle-ci est occupée à autre chose. Dans le premier cas, celui du slasher type, l’audience est passive et ne participe en aucun cas à l’action ; dans le second cas, bien au contraire, le spectateur est tout à fait actif : il veut prévenir la victime de ce qui l’attend, et dans ce sens il participe directement au film – il entre dedans, en fait presque partie intégrante…
C’est ce procédé que Carpenter a poussé à l’extrême dans The Thing. Et peut-être d’ailleurs un peu trop… Car ce qui fonctionne bien quand le monstre est clairement identifiable s’avère au final moins efficace quand il se dissimule sous les traits d’une personne a priori inoffensive et que le spectateur ne peut reconnaître comme une menace pour les autres personnages. Car dans The Thing, chacun peut être le monstre : c’est ainsi qu’il opère, en se cachant parmi ses victimes comme le loup dans la bergerie. Il en résulte qu’à l’instar de chaque personnage du film, le spectateur soupçonne tour à tour ou bien en même temps tous les protagonistes du récit – omniprésent, le monstre menace toujours le moindre personnage aperçu à l’écran, même lors de scènes tout à fait anecdotiques. Dans cette tension permanente, ce suspense sans répit, le procédé de mise en scène pour le moins innovant déjà évoqué se perd hélas quelque peu : il s’enlise d’une certaine manière dans une forme de redite continuelle.
Ce qui ne permet pas de dire que The Thing est un mauvais film, bien au contraire car sous de nombreux aspects, il reste un des meilleurs du réalisateur : en poussant à l’extrême sa technique de mise en scène personnelle, Carpenter a simplement articulé son film autour de procédés au final assez classiques – le roman Dix petits nègres (Agatha Christie ; 1939) vient tout de suite à l’esprit – et qui peuvent sembler hors de propos dans sa filmographie de l’époque. En fait, le réalisateur démontre ici une parfaite maîtrise des techniques de suspense « traditionnelles » au cinéma – ce qui suffit à lui ôter cette étiquette de mauvais cinéaste qu’on lui colle bien trop souvent. Pour cette raison, The Thing rappelle beaucoup Alien, le huitième passager (Ridley Scott ; 1979) bien qu’en plus sophistiqué puisqu’ici le monstre ne surgit pas de n’importe quel coin sombre – je schématise volontairement – mais bel et bien de n’importe qui : dans The Thing, l’ami de toujours comme le parfait étranger peuvent subitement s’avérer une horreur sans nom assoiffée de sang.
En fait, le monstre arbore ici un visage tout ce qu’il y a de plus humain, de plus banal : de cette manière, il représente bien sûr la part d’horreur qu’on trouve en chacun de nous, ou encore – pour paraphraser la locution latine bien connue – que l’homme est un loup pour l’homme – c’est-à-dire que, selon les circonstances, même notre plus cher frère pourra très bien se retourner contre nous sans prévenir. Car le monstre ici ne tue pas par plaisir pervers ni par instinct de chasse, comme dans les slasher movies déjà évoqués ou bien comme dans Alien, mais le plus simplement du monde pour se protéger, pour survivre : sous cet angle au moins, le monstre nous ressemble beaucoup, il nous renvoie un reflet fidèle de nous-mêmes – le genre d’image qu’on préfère ignorer mais qui se rappelle toujours à nous quand on s’y attend le moins…
Près de 30 ans après, The Thing reste un film tout à fait recommandable et qui a su très bien résister au passage du temps : tant sur les plans des images et de la réalisation comme sur celui du thème de départ et des idées au moins sous-jacentes qui s’en dégagent, cette réalisation demeure une production qu’aucun cinéphile digne de ce nom ne saurait manquer, en plus de se montrer parfaitement comparable à toutes les plus grandes réussites du cinéma à suspense.
Notes :
Une préquelle de The Thing, en cours de production, doit sortir cette année.
Ce film ouvre la « Trilogie de l’Apocalypse » de Carpenter ; les deux autres volets en sont Prince des Ténèbres (1987) et L’Antre de la Folie (1995).
The Thing connut une adaptation en jeu vidéo de type survival horror, développée par Computer Artworks et sortie en 2002 sur PC, avant d’être portée sur Xbox et Playstation 2. Ce jeu sert de séquelle au film.
L’écrivain Alan Dean Foster écrivit une novélisation de ce film la même année que sa sortie, sous le même titre ; rédigée à partir du script original, comme le sont la plupart des novélisations, cette adaptation présente de nettes différences avec le film.
Souvent considéré comme un remake du film La Chose d’un autre monde (The Thing from Another World ; Christian Nyby, 1951), dont Carpenter a toujours admiré le réalisateur, The Thing reste l’adaptation la plus fidèle à ce jour de la novella La Bête d’un autre monde (Who Goes There? ; John W. Campbell, 1934) présente au sommaire du recueil Le Ciel est mort.
Le succès et la pérennité de ce film se mesurent aussi au nombre de clins d’œil et de références, sérieuses ou parodiques, qu’on en trouve dans diverses productions ; on peut citer parmi celles-ci un épisode au moins du dessin animé Jackie Chan (2000-2005), des séries TV X-Files (1993-2002) et South Park (1997-actuellement), et des films The Faculty (Robert rodriguez ; 1998), The Thaw (Mark A. Lewis ; 2009) et Les Vampires du désert (J.S. Carbone ; 2001).
The Thing, John Carpenter, 1982
Universal Pictures, 2009
108 minutes, env. 10 €
- d’autres avis : Cinétrange, Film de Culte, Scifi-Universe, Critikat
- la page du film sur le site officiel de John Carpenter
- Outpost #31 : un site de fan consacré au film