Comencini connut la notoriété avec des films comme Pain, amour et fantaisie, Pain, amour et jalousie, la Storia, où il décrivait la vie ordinaire du peuple italien et fut donc classé aussitôt comme un artisan qui donne à rêver, non comme un auteur. " On ne peut pas avoir une attitude publique contre la société de consommation " confiait-il en 1979, et en même temps, contribuer, avec des films publicitaires, à maintenir cet état de chose ".
Né le 8 juin 1916, il fit ses études secondaires en France, avant de regagner Milan et d'y obtenir un diplôme d'architecte en 1939. Il dit avoir été marqué principalement par deux livres : Les Faux-Monnayeurs de Gide et L'Evangile. En rencontrant Alberto Lattuada, il prend goût au cinéma, se familiarise avec la technique et fonde une cinémathèque privée. Elle est à l'origine de l'actuelle cinémathèque de Milan. Durant la guerre, il sera assistant-réalisateur et en 1946 travaille à la rubrique culturelle d'un quotidien socialiste Avanti. Son premier documentaire Bambini in città est consacré à des enfants des quartiers dévastés de Milan qui tentent de se créer un monde imaginaire supportable pour survivre. Présenté à Cannes et à Venise, il est remarqué par Carlo Ponti qui propose à son auteur un remake d'un film américain à succès Boy's Town, dont l'histoire est celle d'un prêtre qui s'essaie avec succès à récupérer des enfants en perdition. Plus tard, dans Proibito rubare, Comencini oppose l'idéalisme d'un jeune prêtre à la violence des quartiers difficiles, film qui sera un échec commercial, si bien que, pour se remettre à flot financièrement, le cinéaste se voit dans l'obligation de commettre une comédie assez médiocre qui n'a d'autre ambition que de tailler un costume sur mesure au comique italien Toto.
Son premier vrai succès, Comencini l'obtient avec Pain, amour et fantaisie. Dans le rôle d'un maréchal des logis qui préfère courir les filles que de s'acquitter de ses tâches, Vittorio de Sica est inénarrable et Gina Lollobrigida, dont ce sont là les débuts, pulpeuse à souhait. Le film sera bien accueilli par la critique et Alberto Moravia y verra même : "le passage du film néoréaliste à la comédie de dialecte. D'une authenticité de contenu et de documentation à une authenticité d'art et de langage".
La Grande Pagaille, en 1960, reçoit également un bon accueil, alors que le film précédent Fenêtre sur Luna Park ( 1956 ), film personnel où Comencini poursuit sa réflexion sur l'enfance, est un cruel échec. " Le film est émouvant, mais à quoi bon s'attarder sur la misère dans les taudis ? " aurait déclaré un ministre italien de l'époque. L'incompris, qu'il tourne en 1967, est lui aussi très mal accueilli à Cannes, mais sera réhabilité dix ans plus tard, au point d'être considéré, aujourd'hui, comme le chef-d'oeuvre du mélodrame sur l'enfance, la critique s'étant aperçue, mais un peu tard, que le cinéma italien ne se réduisait pas aux seuls Rosselini, Visconti et Fellini. Par la suite, Comencini se consacrera à des oeuvres majeures plus connues : Casanova, un adolescent à Venise ( 1969 ), Les aventures de Pinocchio (1972 ), L'argent de la vieille ( 1972 ), Un vrai crime d'amour ( 1973 ), Mon Dieu, comment suis-je tombé si bas ? ( 1974 ). Ce grand cinéaste ne compte pas moins de 48 films à son actif. Moraliste, il pose sur la condition humaine un regard sans complaisance et peu de cinéastes ont aussi vigoureusement souligné le désarroi de notre société contemporaine. Comencini avait pour souci constant de réaliser des oeuvres capables de faire réfléchir sur les sujets les plus graves sans perdre de vue les règles du spectacle.
Avec L'Incompris il traite d'un des sujets qui lui tient le plus à coeur : l'enfance. L'histoire est celle d'un Consul de Grande-Bretagne en poste à Florence, Sir Duncombe, qui vient de perdre sa jeune femme. Le film commence alors que le père désemparé annonce à son fils Andréa, âgé de dix ans, la terrible nouvelle, lui demandant de garder le secret pour protéger son jeune frère de cinq ans, qu'il juge trop vulnérable pour apprendre la vérité. Il est donc convenu entre le père et son aîné que l'on fera croire à Milo que leur maman s'est absentée pour un long voyage... Andréa, conscient de ses responsabilités, accepte de jouer le jeu et s'y emploie si bien que Sir Duncombe finit par penser que l'aîné est insensible et indifférent. Bien sûr, il n'en est rien, mais pour mieux donner le change, le jeune Andréa affiche une attitude distante, s'isolant dans son chagrin et affichant un visage impénétrable.
Arrive alors, dans la belle demeure florentine, un oncle qui a vite fait de percer le mystère et de comprendre que l'aîné est sans doute plus vulnérable que le benjamin, sa réserve n'ayant d'autre raison que de cacher un immense désarroi. Il en parle à Sir Duncombe, qui prend ses propos au sérieux, et décide de se rendre à Rome pour faire découvrir la ville éternelle à Andréa. A l'annonce de ce départ, Milo, jaloux, déploie tout son charme, use de cajoleries, afin de faire échouer le projet. D'autant qu'une opération des amygdales, à la suite d'un gros rhume, tombe fort à propos. Le voyage est annulé. Andréa se sent seul plus que jamais et imagine que son père ne l'aime pas, réservant tout son amour et son attention à son frère.
Un jour, pour se lancer un défi et se prouver à lui-même qu'il est un homme, Andréa s'aventure sur une branche au-dessus d'un étang, tombe et se brise la colonne vertébrale. Le film s'achève sur la mort de l'enfant que son père, au désespoir, veille, comprenant enfin que ce défi n'était autre qu'un appel au secours. Mais le drame s'accomplit et le père ne peut plus que murmurer : Tu es vraiment le fils que tout père voudrait avoir.
Ce long métrage, de facture serrée, est servi par un scénario sobre et implacable, des images belles, une interprétation admirable ( particulièrement celle des deux enfants ) et assez de distance pour que le film ne tombe jamais dans le mélo. Tout est suggéré avec tact et délicatesse, sans aucune insistance malencontreuse ou trop appuyée. Pourtant ce très beau film fut littéralement massacré par la critique officielle. Yvonne Raby osa écrire dans Le Monde :
"Luigi Comencini a exploité les pires effets mélodramatiques pour spéculer sur la sensibilité des spectateurs faciles à attendrir. Deux enfants de cinq et dix ans ont été les principales victimes de cette spéculation bassement sentimentale ; pendant près de deux heures, ils nous ont fait assister à un incroyable numéro de cabotinage et de niaiserie. (...) Voilà ce qu'on peut arriver à faire quand on trahit l'enfance et qu'on méprise à la fois le cinéma et le public".
Il est vrai que les années 60 marquent l'apogée du mépris que les intellectuels nourrissaient alors pour ce qu'il était convenu d'appeler " la culture populaire". Pour qu'un film soit considéré comme une réussite, il fallait qu'il brasse des idées, non de viles émotions.
Or ce film est d'une vérité que nous sommes en mesure, hélas ! de vérifier chaque jour. Connaissons-nous nos proches ? Nous connaissons-nous nous-même ? L'incompris nous alerte sur la difficulté quotidienne que nous éprouvons à communiquer. L'autre n'est-il pas trop souvent l'inconnu que l'on ne peut, que l'on ne sait ni accueillir, ni comprendre ? Et cela au sein de nos familles, de nos couples ! Quel père, quelle mère ne se sont pas trouvés démunis face au silence de leur enfant ? Quel est celui qui ne s'est pas trompé en croyant bien faire ? Car Sir Duncombe ne veut, ne cherche qu'à bien faire. Mais il se trompe, se méprend avec la meilleure volonté du monde. Un tel film nous remet en cause sur la façon dont nous gérons nos sentiments. Il nous rappelle que nous n'avons jamais assez - chevillé au coeur - le goût de l'autre. Ce seul rappel suffit à faire de L'Incompris une belle oeuvre.
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