Entretien avec le créateur Philippe Roucou

Publié le 15 janvier 2011 par Littlestylebox
Presque 20 ans que Philippe Roucou commet de la maroquinerie, transcendant nombres de marques à l'histoire éphémère. Avec sa boutique de la rue de Charonne, il suscite l'envie des piétons qui lorgnent ses sacs en cuir délicats et ses peaux exotiques luxueuses. Plus récemment, il a beaucoup fait parler de lui pour sa collection Objets Trouvés de foulard réalisés en collaboration avec l'artiste M. Chérie... J'ai rencontré Philippe Roucou pour qu'il nous partage sa passion de la belle maroquinerie.


Tu as 18 ans de métier dans la maroquinerie, est ce que tu peux nous parler de ton parcours ?
Je suis diplômé de stylisme et patronage pour homme. Dans les années 80, j’ai travaillé chez Etienne Brunnel où je réalisais des robes hallucinantes en bois, en miroir, en papier mâché, c’était complètement déjanté. On n’avait pas beaucoup de budget mais on faisait de vrais shows, ce qu’on ne trouve plus trop maintenant, des trucs grandioses. C’était vraiment les années 80 : on se donnait la folie de faire des trucs importables. En parallèle, je m’occupais d'accessoiriser leur boutique à Saint Germain. En 1992, mon amie Miki Mialy avait lancé sa ligne de prêt-à-porter. Elle m’a demandé de faire des premiers sacs pour elle. J’avais un peu appris à l’époque chez Gabrielle Cadet. Petit à petit, j’ai mis au point une technique de sacs et cela m’a vraiment plu, ce travail en volume a fait switcher mon goût pour la mode. Ce n’était plus des patronages à plat. J’ai commencé comme ça avec 2-3 sacs à partir des tissus de ses collections. Elle en a vendu 5 la première semaine puis 10… et c’est comme ça que cela a démarré.
C’était une époque où beaucoup de monde s’est lancé…
On était 4-5 sur Paris… Jamin Puech avait commencé quelques saisons avant mois. Il y avait les grandes marques qui avaient déjà leur it-bag, même si on n’utilisait pas ce mot à l’époque, mais en créateurs, il n’y avait presque rien.
Et début des années 90, c’était l’explosion totale du marché japonais pour l'accessoire, ce qui nous a beaucoup aidé.
On pouvait parler à posteriori d’âge d’or du marché japonais…
Oui, on en est loin maintenant. Au début de ces années 90, le marché japonais était à la recherche de tout ce qui était nouveau dans la mode. Ils se sont jetés sur nous : les Jamin Puech, Viviane Cazeneuve, moi… On était une dizaine à sortir du lot. On est arrivé au très bon moment. Les japonais voulaient quelque chose de bien fait, en cuir avec un côté original, un peu rétro, et par contre, une qualité et une livraison irréprochable. On leur a fourni cela. Cela a continué jusque dans les années 2000 où on a connu un fort ralentissement juste après le 11 septembre. Pour autant, les années 2000 ont été des années excellents pour la maroquinerie mais juste pour les grandes marques. Les grandes maisons ont vu ce marché pris par des petits jeunes comme nous et à grand renforts de pub ont sorti leurs it-bags. Comme le marché n’était plus en croissance, cela nous a fortement pénalisés.

Mais tu te développais aussi en France ?
On a tous fait que de l’international pendant des années. Mon chiffre était basé que sur le Japon, en France, c’était vraiment intime. Il faut comprendre que dans les années 90, toutes les marques étaient complètement dépendantes du marché japonais. Il n’y avait pas cet engouement pour la maroquinerie que tu trouves maintenant.
Et maintenant ?
Jamin Puech a encore quelques boutiques au Japon mais ce ne sont plus les mêmes volumes. Pour moi, c’est toujours le pays où je vends le plus, mais ce n’est pas là où j’ai mes plus gros clients. Actuellement, j’ai la boutique de la rue Charonne et je me développe au Moyen Orient, en Asie et en Europe de l’Est.
Et les Etats-Unis ?
Les Etats-Unis ont toujours été très durs pour les créateurs français, mais on sent un renouveau depuis quelques saisons. On a toujours été un peu présent à New York où je suis chez Opening Ceremony. Depuis 2 saisons, on les sent à nouveau sur le marché, la disparité EUR/USD a baissé donc on les revoit sur les salons.
Avec le recul, quel est le regard que tu portes sur l’évolution de la mode ?
C’est très difficile car on n’a jamais le temps de prendre du recul. Je fais parti en quelque sorte de ce bouillonnement perpétuel. Mais c’est sûr que cela a changé, il y a plus d’argent, plus de médias, tout va plus vite. Mais il y a pas mal de créateurs qui continuent à travailler comme moi, Miki Mialy par exemple qui a son atelier à côté du mien.
Tu t’es installé rue de Charonne, c’est un quartier que tu aimes bien ?
Oui, cela fait 8 ans que j’ai la boutique rue de Charonne. Isabel Marant a été la première à s’installer ici. A l’époque, c’était une des premières rues shopping pour les créateurs. Il y avait aussi Shine, qui depuis est parti dans le haut Marais.
Pendant longtemps un de mes meilleurs amis me disaient que la boutique, c’était ma danseuse. Je vends beaucoup plus en multimarques qu’avec ma propre boutique, mais cela reste important pour moi de la garder. Cela influence ma façon de travailler. Par exemple, quand je fais mes collections, je pense toujours au display que je vais pouvoir faire dans la boutique.

Est-ce qu’il n’y a pas justement un déplacement de la clientèle de la rue de Charonne qui devient plus street au haut Marais plus créateur ?
Historiquement oui, mais je pense que le haut du Marais commence à peu à baisser. Pour aller rue Vieille du Temple, les prix sont hallucinants… donc tu ne trouves plus de créateurs mais des marques comme Les Petites, Bill Tornade ou The Kooples.
Ta collection 2010 a été l’occasion d’un renouvellement complet…
Oui, j’avais vraiment envie de tout recommencer à zéro. C’est la première fois que je fais ça depuis 15 ans. Au fur et à mesure, tu gardes de plus en plus de formes ou de modèles qui marchent sous la pression des agents, cela fait un bien fou de pouvoir faire table rase…
C’est la contradiction de l’acheteur, il veut toujours voir des nouveautés pour finalement acheter la même chose…
Oui, on a des produits dont on a envie de se débarrasser, mais qu’on garde depuis des années et des années parce que les acheteurs le veulent. En 2010, j’ai fait 100% de nouveautés… J’avais des sacs très grands, très plats… ils ont vraiment rétrécis. L’été prochain a extrêmement bien marché. Je retombe sur des chiffres d’il y a un peu plus de 10 ans.
Qu’est ce qui t’a inspiré cette saison ?
Quand j’ai commencé à réfléchir à cette saison, c’était le début de la crise, cela m’a rappelé les années 90, on parlait aussi de crise à l’époque. Je suis parti vers le noir, c’était Helmut Lang, Ann Demeulemeester. Au lieu de faire des recherches sur ces créateurs, j’ai essayé de me rappeler ce que je savais d’eux. Je suis parti des images qui revenaient à moi 20 ans après. Ce sont des choses que j’ai totalement déformé avec le temps… Je travaille souvent comme ça. Je préfère me baser sur mes souvenirs que sur des recherches iconographiques.

Quelles sont tes clientes?
Les clientes showroom ont sans doute tout à fait une autre clientèle que celle que j’ai rue de Charonne. Dans ma boutique, elles viennent chercher des sacs du jour qu’elles utilisent pour travailler, alors que ce que je vends à l’international, ce sont des sacs ultra luxes, des sacs du soir, du python… Mes clients multimarques me disent vos sacs du jour ne m’intéressent pas, on veut un sac exceptionnel, brodé à la main, des sacs que je ne vends pas du tout ici. Mes collections petit à petit tendent vers ce marché là, des pièces plus petites plus soir.
Où est ce que tu produis tes sacs ?
J’ai mon propre atelier rue Oberkampf où je produis plus de la moitié de la collection. Pour les sacs les plus faciles en piqué retourné, je les fais faire chez un sous traitant à Paris. Pour les pièces les plus compliquées, je préfère les faire dans mon atelier.
Quel est le prix moyen de tes produits ?
Le prix boutique est entre 400€ et 1000€ pour les pièces les plus exceptionnelles.
Tu as aussi lancé une gamme de foulards qui a beaucoup fait parler…
Je fais cela avec une artiste française qui collectionne des photos trouvées d’anonymes. J’en achète aussi beaucoup aux puces, il y a une vie, cela me parle. Lorsqu’elle m’a parlé de son travail, j’ai eu l’idée d’en faire des foulards imprimés. Quand on parle de foulards, on pense à des choses assez classiques comme Hermes. Lorsque je suis arrivé avec des photos un peu sales imprimées sur de la soie, j’ai été un peu un ovni. Je switchais complètement l’histoire d’un beau foulard en soie. C’est Bucol qui fait parti de la Holding Textile Hermes qui les façonnne : une qualité irréprochable sur une image pas du tout classique. Cela a plutôt bien marché. Cela fait un an et cela va perdurer.
Merci Philippe !!!







Boutique Philippe Roucou
30 Rue de Charonne, Paris 11e
Plus d'infos: www.philipperoucou.com