Laitier de nuit, de Andreï Kourkov

Par Jcfvc

Si vous ne savez pas quoi lire en ce moment, faites donc comme moi, empruntez ce bouquin à votre bibliothèque municipale. Kourkov est un écrivain ukrainien de langue russe écrivant en russe. De toute façon, à mon humble avis (de russophile très modeste il est vrai) tout comme le bielorusse, mis à part quelques différences lexicales et orthographiques, les deux langues sont si proches que l'on se demande pourquoi on les distingue. Je n'ai en tout cas pas plus de problème à comprendre un texte ou un discours parlé dans l'une ou l'autre langue, à condition qu'ils correspondent à mon niveau de compréhension.

Le roman rappelle fortement Gogol, écrivain d'origine ukrainienne (il a écrit "les nouvelles ukrainiennes") mais écrivant en russe.  Pourquoi Gogol ? Parce que , comme chez l'auteur des Ames mortes, du Nez, du Manteau, la société ukrainienne actuelle y est dépeinte de manière réaliste, tout en introduisant des éléments fantastiques, le fantastique venant curieusement renforcer l'effet de réalisme produit par le texte. Par exemple, pour ce qui est du réalisme, la pauvreté, la corruption, la violence prévalant dans  l'Ukraine actuelle sont la toile de fond de la vie quotidienne des personnages.  On rencontre un douanier complice de bagagistes volant des valises à l'aéroport, un député organisant un trafic de lait maternel pour le revendre à  des gens riches dont les femmes ne veulent pas allaiter, des agents de sécurité impliqués dans diverses petites magouilles, en tout cas payés pour protéger les politiciens et autres notables ripoux qui les emploie. Mais, au sein de toute cette "glauquitude", des événements étranges se produisent et des personnages improbables se mèlent, tour à tour renforçant la laideur du tableau ou apportant une touche de tendresse et d'empathie envers les pantins qui se se côtoient et se rencontrent, dont les destinées sont plus ou moins imbriquées les unes dans les autres. Les valises détournées par le douanier et ses complices contiennent des ampoules mystérieuses, qui, ingurgités par ceux auxquels on les revend au marché noir ou administrées au chat  du douanier, semblent provoquer chez les sujets traités une perte de prudence et une propension à jouer les justiciers vertueux. Une amie de la femme d'un agent de sécurité refuse de faire enterrer son mari décédé récemment mais le garde chez elle en le faisant "plastifier". Ce même agent de sécurité est somnambule et erre la nuit dans les rues de Kiev, s'attirant les pires ennuis et rendant sa femme jalouse. Une secte inflitre les sphères du pouvoir et promet à ses ouailles une société juste et morale. Tous ces personnages ne sont au fond pas si mauvais qu'on pourrait le penser en lisant ce compte-rendu. L'auteur nous en parle en comprenant leur bassesses, leur petites lachetés, combines, actes de débrouillardise auxquelles, probablement, tout citoyen ukrainien doit avoir recours, tout comme au bon vieux temps du communisme, pour mettre du beurre dans les épinards, amadouer leur femme, trouver un amoureux, trouver le bonheur, tout simplement.

Pour m'être fait des amis dans la bonne ville de Kiev au temps des soviets et avoir été initiés par eux aux petites combines que les gens trouvaient pour améliorer le quotidien et mettre de la fantaisie dans la vie, j'ai l'impression que l'on est encore aut emps de l'union soviétique, que le régime a marqué à jamais les esprits, même chez ceux qui sont trop jeunes pour l'avoir connu. Par exemple, il me souvient avoir été transporté dans l'ambulance d'un ami de mon pote Genia, peintre et trafiquant d'icônes,pour nous rendre à une soirée. C'était plus pratique, pour aller en grande banlieue de Kiev, que de prendre le métro ou le bus. Nous étions couchés sur les brancards,  (le monde ne peut être parfait, même dans la patrie du "socialisme réel"). Ne me demandez pas comment étaient transportés les malades du chauffeur pendant son temps de service, alors que l'ambulance était détournée pour des missions autres que les siennes...............

Preuve que le roman est plus optimiste qu'il peut  y paraître à la lecture des lignes ci-dessus, outre le regard empathique et tendre porté sur la galerie de personnages truculents mais plus ou moins sympathiques dont on vient de parler, émerge, au-dessus de la mélée, une petite fille mère, métaphore sans doute de l'Ukraine éternelle, qui donne son lait pour qu'il nourisse les bébés de la nouvelle nomenklatura, tout en nourissant sa fille au lait en poudre local (même pas occidental car trop cher !!). Elle réussira à se faire épouser par l'un des agents de sécurité touché par la grâce de cette icône de pureté (toute relative...)

Le lien que je donne ci-dessous contient un article de la croix intéressant sur le livre en particulier et l'oeuvre de Kourkov en général.
 
http://www.la-croix.com/livres/article.jsp?docId=2412306&rubId=43500