Le 14 juin 2008, soit quelque trois mois après la création d'EgyptoMusée, je décidai, souvenez-vous amis lecteurs, d'ouvrir une nouvelle rubrique à la littérature de l'Egypte antique consacrée et dans laquelle, les samedis, j'escomptais vous proposer de faire connaissance avec des textes sapientiaux de première importance.
Pour des raisons que je n'ai point tenté à ce jour d'analyser, mes billets prirent plutôt très vite le très agréable chemin de la poésie amoureuse qui, à en croire vos commentaires de l'époque, rencontra bien des suffrages ...
Par un autre détour de circonstances - le séjour que nous passâmes à Prague à l'été 2009, mon épouse et moi -, j'en vins, l'année dernière, à évoquer de samedi en samedi l'égyptologie tchécoslovaque et les fouilles que l'Institut tchèque d'égyptologie mena dans la seconde moitié du XXème siècle dans la nécropole d'Abousir. Mais de philosophie égyptienne, toujours pas !
Après vous avoir permis de faire connaissance avec les savants Frantisek Lexa, Jaroslav Cerny, Zbynek Zaba et Miroslav Verner mais aussi avec d'importants personnages antiques tels que Oudjahorresnet, Kaaper, Fetekti, Qar et ses fils, Inty et Iufaa, j'ai pensé qu'à présent nous laisserions les Tchèques poursuivre leurs travaux d'excavation loin de nos regards et qu'ensemble, à l'instar de ce RAVeL bien connu des Wallons, nous pourrions emprunter les voies quasiment désaffectées d'un corpus littéraire qui me tient particulièrement à coeur.
Aux temps joyeux de mes études, ce furent, vivement conseillés par mes maîtres, les quatre tomes de l'idéologue allemand Karl Jaspers (1883-1969) intitulés Les Grands Philosphes qui soutinrent les prémices de mon approche de l'Histoire de la pensée universelle.
Première erreur : d'universalité, il n'y eut jamais ! Et comme pour tous les étudiants occidentaux à cette époque - j'avais 20 ans en 1968 ! -, sous les pavés de la philosophie, la plage des penseurs grecs s'étendait à perte de vue.
Parmi ceux qui ont donné la mesure de l'humain, indiquait Jaspers dans le premier volume de sa tétralogie, Socrate prenait la tête. Poursuivant son étude, il considérait Platon comme étant de ceux qui fondent la philosophie et ne cessent de l'engendrer. Dans la catégorie de ceux dont la pensée sourd de l'origine, il voyait Anaximandre, Héraclite et Parménide.
Dans le tome suivant, envisageant les premiers à avoir proposé des conceptions cosmiques profanes, Jaspers relevait Xénophon, Empédocle et Démocrite. Et abordant les grands constructeurs de systèmes, il commençait évidemment par Aristote.
Vous accepterez, je présume, que je fasse l'économie de la suite d'une nomenclature dans laquelle vous aurez relevé sans peine que tous ces incontournables de nos études philosophico-littéraires - Socrate, Platon, Héraclite, Démocrite et autres Aristote - étaient bel et bien d'origine grecque.
C'était donc cela l'Histoire de la pensée universelle que prodiguaient nos Professeurs ?
Par seul souci d'honnêteté intellectuelle vis-à-vis de la somme monumentale de Jaspers, je me dois de mentionner que dans la longue introduction de 110 des 319 pages du premier volume de mon édition de poche (collection 10/18), il cite, dans une minuscule parenthèse et sans autre développement, Imhotep et Ptahhotep en tant que Sages - remarquez néanmoins la majuscule ! - de l'Egypte.
Voilà ! Pour lui, c'était dit ! On n'en parlera plus ! Venons-en aux vrais philosophes : les Grecs qui, aux yeux de tous, furent les premiers à réfléchir sur l'humaine condition, à donner naissance à l'art de penser, les premiers à inventer la toute puissante Raison ! Avant eux, ce ne furent, à en croire ceux qui ressassent toujours cette thèse obsolète, qu'énoncés de petits principes de sagesses locales aux fins de tenter d'harmoniser au mieux les rapports sociaux entre les Egyptiens ; ou les Sumériens ; ou les Babyloniens ...
Un demi-siècle plus tard exactement, le philosophe français Michel Onfray (né en 1959) publie Les sagesses antiques, opus initial de ce qui devint au fil des ans, aux éditions Grasset & Fasquelle, sa Contre-histoire de la philosophie.
Là, je me dis : enfin ! Est rendu à l'Egypte ce qui appartient à l'Egypte ! En effet, le préambule général qu'il consacrait à l'historiographie de la philosophie augurait, me sembla-t-il, une judicieuse et salutaire remise en question (pp. 15-6) :
Pourquoi ces instruments idéologiques que sont toujours les manuels, les anthologies, les histoires, les encyclopédies qui, certes, rapportent les mêmes propos, font-ils silence sur les mêmes informations ? Ce qui manque une fois dans une publication manque toujours dans les suivantes d'un genre analogue où règne par ailleurs le psittacisme. Et Michel Onfray de proposer en 2006 de remédier à cette situation.
Malheureusement, quelque 10 pages plus loin, c'est avec notamment Leucippe de Milet (460-370 avant notre ère), philosophe hédoniste grec totalement inconnu du grand public, aussi cultivé fût-il, qu'il entame son travail de déstabilisation des "vainqueurs" - entendez Socrate, Platon, Aristote - pour ouvrir large le rideau sur les "vaincus" des études universitaires traditionnelles.
Ce nonobstant, en un paragraphe, il me concède (p. 42) :
Une histoire des idées sumériennes, babyloniennes, égyptiennes, africaines donc, montrerait à l'envi que les Grecs n'inventent pas (...) la croyance à une vie après la mort, la transmigration des âmes (...) Tout cela ne germe pas dans le cerveau d'un Pythagore planant dans l'éther des idées pures où il suffirait de se servir. Derrière ces figures de la sagesse grecque primitive s'entend l'écho de voix anciennes, plus anciennes encore, voix de peuples peut-être sans écriture, sans archives ou sans traces.
Et l'auteur, par cette "mise au point" exécutée en 12 lignes, de s'exonérer de creuser plus avant dans le terreau de la philosophie des bords du Nil antique !
Certes, amis lecteurs, je n'ai nulle prétention à ajouter une quelconque apostille aux oeuvres de Karl Jaspers, de Michel Onfray et de tant et tant d'autres. Il m'agréerait simplement, au fil de nos entretiens des prochains samedis, de vous donner à lire quelques extraits de textes égyptiens, de vous soumettre quelques apophtegmes que personnellement je considère comme une réflexion philosophique et qui vous permettraient, au-delà de ma propre conception, de forger votre opinion en la matière : oui ou non, le "miracle grec" est-il originel dans la pensée universelle ? Oui ou non, les Grecs ont-ils tout inventé ?
A samedi, donc, le 22 janvier, pour un premier rendez-vous avec un
certain Ptahhotep ... dont il faudra bien concevoir qu'il n'a rien à voir avec ce que l'on lit habituellement à son propos, ici sur le Net .