Le Président de la République a passé 100 minutes chez Airbus.
Toulouse, capitale aéronautique et spatiale, joue depuis plusieurs décennies un rôle emblématique. Ses pistes ont été foulées par des dizaines de prototypes, des milliers d’avions dé série, les usines qui entourent l’aéroport ont assemblé des appareils qui ont écrit de belles pages d’histoire et contribué massivement au soutien de la balance commerciale française.
Il est d’autant moins étonnant que Nicolas Sarkozy, qui dénonce réguličrement le spectre Ťd’une France sans usinesť, ait tout naturellement choisi l’imposant site AéroConstellation pour se plier ŕ l’une de ses nombreuses cérémonies des Ťvœuxť de début d’année. Une spécialité bien française, ŕ laquelle tiennent beaucoup politiques et industriels, męme quand ils n’ont rien ŕ dire. On connaît la chanson : les responsables, quels qu’ils soient, s’efforcent de tenir des propos sympathiques face ŕ d’autres responsables et des journalistes, laissant supposer le temps d’un petit discours, qu’il rčgne une bonne entente entre les uns et les autres.
L’Elysée, cette fois-ci, avait pour objectif de formuler des vœux de réussite aux forces économiques du pays. Le choix du lieu imposait de solides usines appartenant ŕ des entreprises qui Ťgagnentť. Par élimination, le nom d’Airbus venait aussitôt ŕ l’esprit et le choix de Toulouse-Blagnac s’imposait. D’oů la visite éclair de l’Air Force One français, le rutilant A330-200 présidentiel, venu retrouver pendant une centaine de minutes l’air pur de sa terre natale.
L’avionneur européen, dont les fondements sont profondément techniques et la culture d’entreprise difficilement compatible avec les subtilités politiques, a ainsi été mis ŕ contribution. Il est vrai qu’il est un exemple fort de volonté franco-européenne de réussir en męme temps qu’un lien parfois houleux mais solide entre Paris et Berlin. Reste le fait qu’il est toujours risqué de placer un micro devant un Président de la République dans un tel décor. Lequel se pręte ŕ des déclarations emphatiques, ŕ condition de trouver les bons mots.
Les observateurs les plus avertis n’en ont pas terminé du décodage de certains des propos de Nicolas Sarkozy tenus au pied d’un A380. Ce qui compte, a-t-il déclaré en substance, ce ne sont pas les 40 ans de réussite d’Airbus mais plutôt les 40 prochaines années. Comment interpréter cette puissante déclaration ? Comme le témoignage d’une vision ŕ long terme ? Ou comme des mots qui sonnent bien mais ne correspondent ŕ rien de concret ? La feuille de route de l’avionneur est en effet tracée et lui permet de voir au-delŕ de l’horizon, grâce aux A350, A380, etc.
Mieux aurait valu rappeler une réalité concrčte, immédiate et, qui plus est, rassurante : ŕ Blagnac et dans les quelques communes environnantes, Airbus occupe 16.000 personnes, c’est-ŕ-dire 30% environ de l’effectif mondial de la société. Les noms des différents sites évoquent, d’une maničre ou d’une autre, des pages glorieuses d’histoire, des moments forts, le souvenir d’événements marquants. Saint-Martin-du-Touch, par exemple, a tout connu, de l’Armagnac ŕ Caravelle et au premier A300B. Saint-Eloi, en centre ville, établissement construit il y a 90 ans, était ŕ l’origine celui d’Emile Dewoitine. Les grands bâtiments qui portent le nom de Clément Ader rappellent le grand tournant savamment négocié il y a une trentaine d’années pour réussir une formidable montée en puissance, celles des A330 et A340. Et, au cœur d’AéroConstellation, entretenant la mémoire de Jean-Luc Lagardčre (il manque !), la chaîne d’assemblage de l’A380. L’usine destinée ŕ accueillir la chaîne A350XWB prend forme et, si ce n’est pas trop tard, peut-ętre pourrait-elle ętre baptisée ŤConcordeť. Sans cet avion mythique, Airbus ne serait peut-ętre pas né.
La France sans usines ? Non, ŕ condition de parler aviation et espace ! En Midi-Pyrénées, le secteur aérospatial occupe 140.000 personnes. Lesquelles valaient bien une escale de 100 minutes de l’Air Force One français.
Pierre Sparaco - AeroMorning
(Photo: Daniel Faget)