Les phénomènes sociaux doivent-ils être décrits ou interprétés en termes d’ « êtres collectifs » antérieurs aux individus, ou bien faut-il le faire en les rapportant à des comportements individuels ?
L’auteur : Alain Laurent sur Wikibéral
Alain Laurent décrit et compare ici les deux grandes méthodes employées en sciences sociales : le holisme et l’individualisme méthodologique. Le holisme consiste à porter son attention sur les groupes, les classes sociales, les églises, les nations. Ces grands objets sociaux sont le point de départ pour comprendre les comportements individuels, car l’individu est avant tout déterminé par le groupe auquel il appartient. L’individualisme méthodologique renverse ce point de vue et prend comme point de départ les actions des individus. Ce sont les choix et les préférences des individus qui sont la cause des mouvements sociaux, et qui permettent de comprendre le fonctionnement des groupes constitués.
Très tôt, les deux approches ont émergé dans la philosophie, mais c’est au XIXème siècle que l’opposition est devenue un enjeu du débat intellectuel. Chez les philosophes allemands comme Hegel, la communauté est décrite comme un organisme vivant et doté d’un « esprit » (Geist) métaphorique ; les individus sont les cellules de cet organisme. Chez les Français Saint-Simon et surtout Auguste Comte, on trouve de nombreuses références à l’ « organisme social » également qualifié de « Grand Être. » Durkheim argumente explicitement en faveur de la méthode holiste, expliquant que « les âmes individuelles [s’agrégeant] donnent naissance à une individualité psychique d’un genre nouveau. »
Mais nombre de penseurs préfèrent se référer aux choix individuels concrets pour comprendre la société, et no l’inverse. Les précurseurs de cette tradition sont Bernard Mandeville et sa Fable des abeilles, et les Lumières écossaises incarnées par Ferguson et Adam Smith, jusqu’à sa célèbre « main invisible. » Contre toute attente, on trouve également chez Marx plusieurs analyses en termes de comportements individuels.
Le livre d’Alain Laurent dépasse cette opposition historique. Il nous permet de comprendre les raisons idéologiques derrière cette opposition intellectuelle, entre collectivisme et libéralisme. Mais il souligne aussi que les deux approches ont des champs d’investigation différents, et elles ne se contredisent donc pas nécessairement. Le holisme consiste à se demander comment notre environnement culturel et social peut déterminer – ou tout au moins influencer – nos préférences individuelles. Il intéresse souvent les sociologues – avec des exceptions notables comme Raymond Boudon. L’individualisme méthodologique est le pré carré des économistes, qui y trouvent l’explication d’institutions économiques émergentes comme la monnaie. Les Autrichiens Mises et Hayek en sont un bon exemple.
Lectures complémentaires :
Alain Laurent, Histoire de l’individualisme
Raymond Boudon, Holisme et individualisme méthodologique
TABLE DES MATIÈRES
Introduction – L’épistémologie des sciences sociales : l’autre paradigme
PREMIÈRE PARTIE
SENS ET PERTINENCE D’UNE ALTERNATIVE MÉTHODOLOGIQUE
Chapitre I – Le holisme méthodologique
Chapitre II – Le paradigme individualiste
DEUXIÈME PARTIE
LES INDIVIDUALISMES MÉTHODOLOGIQUES « CLASSIQUES »
Chapitre III – La tradition « subjectiviste» autrichienne
Chapitre IV – Hayek et l’ordre social spontané
Chapitre V – Max Weber et la compréhension de l’acteur
Chapitre VI – Karl Popper et la réduction analytique à l’individuel
TROISIÈME PARTIE
LA MÉTHODE INDIVIDUALISTE AU DÉFI DE LA COMPLEXITÉ
Chapitre VII – Résistances et objections à l’individualisme méthodologique
Chapitre VIII – Complexification de l’individualisme et auto-organisation
Chapitre IX – R. Boudon : rationalité de l’acteur et effets pervers
Conclusion – Les réinventions du social
Bibliographie
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