Article de Kevin Carmichael publié dans The Globe and Mail (Canada), le 4 janvier 2011 (traduction de Will Conquer).
Friedrich von Hayek, né à Vienne en août 1899, était une star montante au début des années 1930. À cette époque, il lutte à la London School of Economics contre l’influence croissante de John Maynard Keynes qui lui à l’Université de Cambridge, développe ses idées sur la façon dont les gouvernements pourraient se substituer à une demande privée réduite en période de récession.
Hayek voyait les cycles économiques différemment : expansion et récession sont inévitables parce que l’investissement des entreprises précède toujours la demande des consommateurs. La falsification par les politiciens et les banquiers centraux ne fait qu’empirer les choses en encourageant des « malinvestissements », qui prolongent la crise.
De nombreux économistes reconnurent que la théorie de Hayek était plus solide que celle de Keynes. Mais Hayek n’a pas su retenir ses partisans. Le talent persuasif de Keynes était écrasant, selon Robert Skidelsky, auteur d’une biographie en trois volumes de Keynes. De plus, la reprise économique qui a coïncidé avec l’engagement de lourdes dépenses publiques au cours de la Seconde Guerre mondiale semblait renforcer son point de vue.
Keynes, décédé en 1946, a inspiré légion de disciples et auteurs de manuels économiques. Lorsque l’école des économistes de Chicago s’est soulevé contre l’intervention du gouvernement dans les années 1960 et 1970, c’est Milton Friedman qui devint la nouvelle figure de résistance, et non Hayek à qui fut pourtant remis le prix Nobel d’économie en 1974. Au moment de sa mort en 1992, Hayek était oublié, rejeté par la plupart de ses confrères économistes.
« Quand j’ai commencé à étudier l’économie à Oxford au début des années 80, Hayek était largement considéré comme un fou de droite », écrit le journaliste John Cassidy en 2009 dans son livre Comment les marchés deviennent défaillants : La logique des calamités économiques (How Markets Fail : The Logic of Economic Calamities). Mais en 2011, Hayek est sur le point de prendre sa revanche. Le lieu de son retour est déjà connu : au sein du parlement américain.
Les idées de Hayek, de son mentor Ludwig von Mises, et d’autres de l’école dite autrichienne d’économie inspirent largement le mouvement Tea Party qui a bousculé le statut quo de la classe politique américaine aux élections de mi-mandat en novembre. Les représentants du Tea Party au Congrès devraient grandement influencer l’issue des discussions sur l’opportunité d’une nouvelle relance budgétaire pour stimuler l’économie. Il y aura au contraire des pressions considérables pour réduire les dépenses publiques et le déficit – sans augmenter les impôts. Les Républicains de la Chambre ont déjà promis d’essayer d’abroger les lois du Président Obama sur les soins de santé. La Réserve fédérale (« Fed ») devra aussi faire face à un contrôle politique sans précédent du législateur qui se pose ouvertement la question de savoir si la banque centrale devrait même exister.
Tout cela en grande partie au nom de F. A. Hayek dont la popularité renaît !
Glenn Beck, personnalité de la radio et de FoxNews, qui a attiré des dizaines de milliers de partisans du Tea Party à un rassemblement à Washington en août, a fait de Hayek le best-seller de Amazon.com l’an dernier en vantant les mérites de son livre publié en 1944 intitulé Le Route de la Servitude.
Russell Roberts, professeur d’économie à l’Université George Mason à Fairfax en Virginie, et le cinéaste John Papola ont réalisé une vidéo de rap de huit minutes opposant à travers deux acteurs Hayek et Keynes. (Mixte refrain : on a fait du va et vient depuis le siècle passé ; Keynes : Je veux diriger les marchés / Hayek : Je veux les libérer.) La vidéo a attiré plus de 1,7 million de visites depuis qu’elle a été postée sur YouTube en janvier dernier.
Roberts s’est laissé surprendre par le succès de sa vidéo. Elle serait selon lui davantage liée à renouveau d’intérêt pour Hayek qu’à son talent pour écrire des chansons de rap. « Il y a entre 9.000 et 10;000 commentaires, déclare le professeur Roberts dans une interview. Les gens se demandent « Qui est ce type ? Pourquoi n’ai-je rien appris sur lui à l’école ? » »
Amity Shlaes, chercheur en histoire économique au Council on Foreign Relations à New York, a déclaré dans une interview que « les gens qui connaissent Hayek ont fait de l’argent pendant la crise ».
Pour ceux de l’École autrichienne, la surconsommation est une donnée, une hypothèse qui a permis à certains investisseurs de voir que la flambée du marché immobilier américain n’était pas le bienfait qu’elle semblait être. Selon Hayek, les taux d’intérêt sont artificiellement maintenus à des niveaux trop bas pendant trop longtemps, créant une expansion du crédit qui crée les conditions de la crise. L’argent bon marché incite les entreprises à surinvestir. Lorsque la crise arrive, les entreprises se retrouvent avec des capacités excédentaires qu’il faudra des années à absorber.
C’est une explication convaincante de la crise financière, au regard notamment de l’échec manifeste des politiques d’inspiration keynésienne : renflouement des banques et programmes de relance. Elles se révèlent incapables de générer une croissance économique suffisamment rapide pour diminuer de façon significative le taux de chômage aux États-Unis.
La théorie économique autrichienne est généralement critiquée car elle ne parvient pas à montrer que le marché peut fournir des soins de santé à des prix abordables et assurer une retraite aux plus pauvres. D’autre part, le pessimisme de Hayek prend à rebrousse poil la tendance qu’ont les individus à vouloir des réponses positives à la crise, ce que la pensée keynésienne offre sans équivalent.
Mais le pessimisme n’est pas le bon terme pour décrire les représentants les plus influents de l’école autrichienne. Le Texan Ron Paul suivait des études de médecine dans les années 1960 quand il est arrivé à se procurer un exemplaire de La route de la Servitude. Ce livre, qui explique comment le contrôle étatique de l’économie mène à la tyrannie, lui a inspiré un véritable intérêt pour l’économie.
Si vous ne connaissez pas encore le nom de M. Paul, vous ne perdez rien pour attendre.
Personnage public depuis le milieu des années 1970, M. Paul a été longtemps ignoré, même par ses collègues républicains. Ses efforts législatifs pour ramener l’étalon-or et pour en finir avec la Réserve fédérale l’ont isolé du reste du camp républicain. Mais la crise financière, et plus spécifiquement, la réaction populaire contre le sauvetage de Wall Street et un profond scepticisme sur la création, par la Fed, de centaines de milliards de dollars, pour acheter des obligations et autres actifs financiers, a soudainement rapproché l’opinion publique américaine des libéraux. En conséquence, Ron Paul est devenu un personnage cool au sein de l’intelligentsia américaine.
Le magazine Atlantic de novembre compte ce membre du Congrès de 75 ans venu du Texas comme « penseur audacieux », le décrivant comme « le cerveau du Tea Party ». M. Paul, libéral engagé qui a fait campagne à la présidence en 2008, est aussi sur la liste du magazine Foreign Policy des 100 meilleurs penseurs de l’année 2010. Il occupe la place 19, avant Mohamed El Baradei, ancien chef de l’Agence internationale de l’énergie atomique et lauréat du Prix Nobel de la paix. Après s’être vu refuser le poste dans le passé, M. Paul, auteur de En finir avec la Fed (End the Fed) et La définition de la Liberté (Freedom defined), a été nommé président du sous-comité de la Chambre des représentants qui supervise la banque centrale.
« Le mouvement libéral a pris des proportions qu’il ne connaissait pas il y a quelques années, déclare le professeur Roberts dans une interview. Maintenant, beaucoup de gens considèrent sérieusement un changement radical à la Fed. C’était impensable il y a quelques années. »