Figure marquante de la culture littéraire remix avec Raymond Queneau (le qualificatif est un pur anachronisme dont les auteurs en question ne se sont jamais revendiqué), l'auteure transparaît pourtant de manière très forte à travers ses œuvres. Enfin, une certaine homogénéité traverse les écrits de Acker. Du moins, ceux que j'ai lus. Les appropriations n'annihilent aucunement sa "voix", sa présence, au contraire (je le mentionnais lors d'un précédent billet). Mais elle ne semble pas en avoir conscience ou plutôt, elle n'a pas ce besoin de l'affirmer, de la justifier, de parler de sa singularité...
C'est à cette idée de la voix multiple que s'intéresse Amerika pour son article. Cette voix n'a rien de personnel ou d'unique. Elle n'est pas liée à un égo ou à un caractère, ce qui revient au même, selon lui. Enfin, elle trouve sa singularité dans la manière dont nous sommes habités par les éléments de culture. Elle vient tout naturellement dans un lâcher prise et d'acceptation de "disparaître" un peu. Cette idée, aux saveurs ésotériques, est résumée dans un petit remix créé par l'auteur. Il s'agit d'un texte de Bruce Lee portant originellement sur les arts martiaux, qu'Amerika a modifié.
"Once you have a voice, you have developed a rigid SYSTEM. Your behavior becomes repetitive, predictable, and you lose your ability to sample freely from and interact with th world with all of your resources. You are predetermined just to act within social networking and performance events in one way, namely, as your predetermined voice prescribes. So it seems a paradox when I say that the most interesting artist, the most productive, creative persona, is one who has NO VOICE. (p.198)"No voice", dit-il! Sommes-nous prêts pour ce genre de conception de la créativité? Car c'est bien ce que nous enseignent, à leur manière et depuis longtemps, les auteurs qui s'intéressent à la créativité (Julia Cameron, Lewis Hyde, Betty Edwards et je dirais même...Nietzsche!). Si l'on peut aisément reprocher à l'artiste, comme on le fait à bien d'autres, malheureusement, de ne pas suffisamment conceptualiser sa pratique, de ne pas rendre ses réflexions de manière scientifique, pédagogique ou académique, c'est peut-être parce que cette posture est tout simplement néfaste pour lui! Se créer une démarche, investir dans les concepts, c'est se créer un personnage, une voix unique, de laquelle on devient rapidement prisonnier.
J'abonde dans le sens de l'auteur lorsqu'il dit, en parlant indirectement, entre autre, de l'université :
"the environment that produces innovation
is now also the envrionment that kills creativity (p.203)
Innover, cela ne nous positionne pas nécessairement dans un état créatif, mais en tant qu'universitaires et dans bien d'autres cas aussi, on nous le demande. Mais vue sous cette angle, disons que la vision de la voix multiple est bien loin de ce que nous suggère le système académique (sauf celui qui gravite autour de prof Amerika et cela n'est pas étranger à la productivité et à la joie des étudiants qu'il dirige) pour lequel il faut avoir une voix et s'y accrocher, la justifier, la développer, l'ancrer dans le ciment...
"Créativité" devient souvent un synonyme de "prétention" alors qu'"innovation" est devenue la "norme". Être créatif est pourtant la moindre des choses que l'on peut s'offrir en tant qu'être humain, alors qu'être innovateur est un devoir académique, une pression sociale, enfin, quelque chose qui, sans la créativité à voix multiples, peut être néfaste. Les gens créatifs vivent dans l'abondance, les innovateurs vivent dans la peur constante de se faire dépasser ou dans le désir constant d'arriver premiers.
"I am losing my voice
and loving every minute of it
because as I lose it
I find more connectivity
to what shapes my intuition"
M.A.