Photographies et mémoires

Publié le 12 janvier 2011 par Arsobispo

La magnifique exposition « Archéologues à Angkor », que nous proposait jusqu’à ce début d’année le musée Cernuschi de Paris, vient tout juste de s’achever. Il ne reste aux amoureux de la photographie qui l’on ratée que le catalogue publié par Les Editions Paris-Musées.

Toutefois dans le cadre du Mois de la Photo, une autre exposition est à voir, jusqu’au 20 février, « Portraits d’écrivains de 1850 à nos jours » conjointement réalisée par la Maison de Victor Hugo, les Collections Roger-Viollet et à la Maison Européenne de la Photographie. Je ne l’ai pas encore vue, mais j’en attends beaucoup, notamment de la collection de la Maison européenne de la photographie qui a le mérite de présenter des clichés de photographes internationaux. Je crains fort que celles de Roger-Viollet, une maison qui a fait sa réputation sur la vente de droits d’utilisation, soit sinon usée, guère surprenante.

Quoi qu’il en soit, même si j’ai une attirance particulière pour la littérature et la photographie ; je doute qu’elle arrive à me stupéfier autant que la précédente. Il manquera, je le crains, la spontanéité de la photo de reportage, la présence de l’homme en situation et le témoignage de l’histoire.

Cela m’amène à penser à une photographie largement inconnue en France que j’avais découvert à Québec, il y a près de trente ans. A l’époque, je m’intéressais aux peuples autochtones, au grand dam d’ailleurs de mes hôtes qui ne comprenaient pas cette passion pour des peuples toujours aussi mésestimés de nos jours. Du moins pour le public, car les musées canadiens regorgent de trésors, qu’ils soient photographiques ou de tout autre nature.

Si l’on connaît bien en France,les photographes américains qui se sont intéressés aux peuples autochtones, il n’en est pas de même de leurs collègues canadiens.J’en connais quelques uns qui soutiennent parfaitement la comparaison.

  • Dans la série des portraits, une mention spéciale à W.M. Park & Co et cette magnifique photo de l’homme blanc, debout, engoncé dans son costume, protégeant nonchalamment les sauvages par ses mains posées sur leurs épaules. Nous sommes le 13 octobre 1886 et les sauvages en question étaient quand même les Chefs Siksika (Pieds-Noirs) et Kainai (Gens-du-Sang) qui n’avaient toutefois pas participé à la Rébellion du Nord-Ouest ou à la Résistance de 1885. Un remerciement en quelque sorte.

  • Ainsi G. Edgar Fleming, dont  je ne sais pas grand-chose, et ce magnifique portrait d’un Jeune Cri (Saskatchewan, 1903).

  • Ainsi William Hanson Boorne et de son cousin Ernest Gundry May avec qui il fondera un studio à Calgary au sein duquel ils réaliseront cet autre portrait d’un certain Setuk Muccon de la nation sarsie (Calgary, Alberta, date inconnue).

  • L’un des plus beau de tous ces portraits est à attribuer au célèbre Ronny Jacques.

    Mais l’autochtone qu’il représente (Copper Joe, l’indien le plus âgé des environs de Burwash Landing au Yukon), a plus de valeur artistique qu’ethnologique. Il est vrai que la photographie est beaucoup plus récente puisqu’elle date de novembre 1942.

  • Plus ethnologique est celui de David J. Martin représentant l’épouse de Calf Bull à Calgary en Alberta, dans les années 1920.

  • Et cet autre portrait du à Hannah Maynard représentant Le capitaine Jack, chef des Indiens de Rupert et sa femme (Colombie-Britannique), entre 1868 et 1878 ! Hannah Maynard fut l’une des premières photographes professionnelles de la Colombie Britannique ou elle ouvrit un studio. Elle s’intéressa particulièrement à la technique, et fut réellement une artiste dans la mesure ou elle allait bien au-delà de la simple prise de vue.

    Son mari Richard Maynard, qu’elle initia d’ailleurs, lui laissait le studio pour rechercher des scènes plus naturelles sur les sites occupés par les indiens.

  • Ainsi Arthur Rafton Canning, qui fut relativement célèbre. Tout comme ses frères, il était né à Paris. La famille émigre à Toronto, mais c’est au Montana et surtout en Colombie Britannique qu’il réalisera la majorité de ses photographies. Au début du 20e siècle il semble qu’il n’hésitait pas à mettre en scène des autochtones afin d’accroître la valeur marchande de ses œuvres comme le montre bien l’analyse de cette photo, indéniablement mis en scène.

    A contrario, il s’attachait aussi à saisir les impacts de l’urbanisation des contrées qu’il fréquentait.

  • Paradoxalement d’ailleurs, c’est un photographe amateur, qui a su parfaitement saisir la réalité.

    En effet, Albert Peter Low. plus connu comme géologue et cartographe de la Commission géologique du Canada que comme photographe, a su se distinguer toute l’humanité des indiens comme le montre ce touchant groupe d’Inuites de Cape Fullerton (Territoires du Nord-Ouest, aujourd’hui Nunavut, vers 1903) ou encore ces campements d’Inuit, à Fort Chimo, en 1896.

  • Plus ancien encore,

    George M. Dawson, un autre géologue, directeur notamment de la Geological Survey of British Columbia prit cette vue d’un village Assiniboine au, Manitoba, en1874.

  • Ainsi cette photo prise sur le vif d’un peintre relativement célèbre de l’époque, Henry Richard Sharland Bunnett qui montre que s’il avait le regard aigu de l’artiste, savait également manier l’appareil photographique.

  • Ou encore Frederick Dally, qui, bien que dentiste était également photographe, et fut mandaté pour photographier les terrains aurifères de Cariboo et de Barkerville. Il se passionnait visiblement à titre personnel pour la vie des autochtones à la vue de certaines photographies qu’il prit, tel ce barrage à saumon photographié vers 1866 à Quamichan, sur la rivière Cowichan (Île de Vancouver en Colombie-Britannique).

    Ce tombeau près de la rivière Fraser d’un indien (ou peut-être d’une indienne) nommé Zadoskis, dont il précise qu’il est orné de monuments représentant les membres de sa famille et en particulier de ses parents décédés, est assez explicite sur les motivations de son auteur. Les journaux de l’époque relatent qu’il était très doué pour les portraits. Malheureusement, je n’en connais qu’un, celui du chef songhees James Sqwameyuks, qui n’a rien d’exceptionnel.

Dans les archives photographiques du Canada, on trouve également des portraits de célébrités :

  • Tel celui de la poétesse Tekahionwake, plus connue sous son nom européanisé Pauline Johnson, réalisé par Cochran en 1895 à Brantford en Ontario, qui chanta la culture et le mode de vie des autochtones.

    L’un de ces poèmes, The Song my Paddle sings, est sinon appris du moins connu de tous les écoliers canadiens.

  • Tel celui de Louis Riel, chef du peuple métis dans les Prairies canadiennes et fondateur de la province du Manitoba qui avait dirigé des mouvements de résistance contre le gouvernement canadien dans le but de protéger les droits et la culture des Métis avant d’être élu au poste de député de Provencher (Manitoba) et qui finira pendu pour traîtrise. Cette photographie très célèbre est due au studio William Notman (Ottawa, Ontario, en 1873), l’un des plus importants photographes du Canada à cette époque.

    Mais le talent de Notman s’est vraiment exprimé dans les photos splendides de jeunes guerrier black foot, qui semblent bien avoir été prise dans des campements indiens.

Le Canada a également eut des guerres indiennes. Elles ont été utilisées aussi bien pour soumettre les indiens que pour asseoir une politique sécuritaire. Des photographies le prouvent comme celle que O.B. Buell a prise du chef cri des plaines Mistahi Maskwa (dénommé Big Bear), vers 1825-1888.

Il est clairement représenté les mains enchaînées afin de bien prouver que la rébellion du Nord‑Ouest de1885 avait été annihilée. (Regina, au Saskatchewan, vers 1885). Plus tard, la civilisation triomphera comme le montre cette photographie de 1915 due à Ronald R. Mumford présentant des chefs indiens de la même contrée au volant d’une voiture bardée de drapeau national. Les autochtones ne font plus peur.

Les « touristes » peuvent poser avec eux sans crainte comme le montre cette photo de F.L. Houghton prise dans un campement indien  dont l’authenticité semble suspect (Famille Helen Taft lors des célébrations du tricentenaire de Champlain à Montréal en juillet 1909.

Dans la cadre de l’assimilation forcée, des missions ont été crées afin de « surveiller » l’évolution des sociétés autochtones. Il fallait s’assurer que les efforts entrepris par les blancs portaient ses fruits. Des photographes ont donc réalisés des travaux de commandes, qui ont produit, bien évidemment, des images manquant quelque peu de spontanéité lorsqu’il s’agit de portraits. On trouve bien entendu essentiellement des photos de lieux ou des bâtiments ont été construits « au service » des autochtones, tels que des écoles, des dispensaires et bien entendu des lieux de cultes chrétiens. On peut citer ainsi Joseph Dewey Soper, avant qu’il ne devienne le célèbre explorateur de l’Arctique, l’aventurier Henri .J. Woodside, qui fut rédacteur en chef du journal Yukon Sun après avoir été photographe du Toronto Globe et membre dans sa jeunesse du Second bataillon des fusiliers canadiens qui participera à la Guerre d’Afrique du Sud, et J.F. Moran dont la photographie représentant des élèves du pensionnat autochtone de Fort Simpson (Territoires du Nord-Ouest) vers 1922, en dit long sur les « singeries » de rigueur  auxquelles étaient soumis les élèves.

Il n’y a pas que les peuples autochtones qui intéressent ces photographes. Les archives canadiennes possèdent également des photographies de la vie de tous les jours dans certains territoires éloignes. Ainsi, celles de pécheurs probablement français préparant de la morue au Cap Rouge en Terre-Neuve, vers 1857-1859 due au célèbre marin - et photographe- français, Paul-Émile Miot, qui s’illustra lors de la campagne de l’Astrée dans le Pacifique Sud en 1869-1870

Pour en revenir aux canadiens, d’autres photographes sont à citer : Frank LaRoche, Russell Norton, le politicien Noah Shakespeare, Charles Aylett, Anderton, P.E. Gélinas, DeLancey Gill, George Robinson Fardon dont les épreuves seront présentés lors de l’Exposition universelle de Londres, en 1862, Garret Smith, Charles Gentile, Robert Reford, fils et successeur du célèbre homme d’affaire, qui réalisa des albums de photographies dont certaines étaient consacrées à la vie des autochtones, Marcell, Arthur Vipond , H.L. Hime, qui eut l’honneur de voir publier un portfolio de ses épreuves en 1860. J.A. Brock & Co, Trueman and Caple, Harlan I. Smith, et le Reverend Charles Harrison. Etc, etc, le champ de découvertes est immense.

Certains photographes américains ont bien entendus visités le Canada, notamment ceux qui affirmaient réaliser un travail d’ethnologue, comme, bien entendu, Edward S. Curtis qui réalisa ce portrait d’une Hesquiaht de la tribu centrale de Nootka (Colombie-Britannique), en 1916, ou d’autre, toutes aussi belles. Le talent de Curtis est toujours flagrant.

Et pour terminer, sur une note un peu franchouillarde - mais le canada ne l’est-il pas un peu ? - signalons que Francis Gorge Claudet, le fils du célèbre daguerréotypiste français Antoine Claudet, a également débarqué sur la côte du Pacifique en 1859, et qu’il y réalise au moins deux albums de photos, dont voici l’une d’entre elles qui représentent des autochtones employés pour assurer le ramassage et la livraison du courrier urgent en canoë à Victoria (New Westminster) en 1864.

A l’occasion de l’exposition en 2008 Portraits d’Autochtones aux Archives nationales du Canada, Jeff Thomas, avait réalisé un formidable travail que je vous invite à lire sur le site http://www.collectionscanada.gc.ca/portraits-autochtones/020005-2000-f.html