Hessel, Houellebecq et le Canard

Par Jcfvc

Dans un article du Canard enchaîné en date du 5/1/2011  (image ci-contre), un journaliste prétend comparer le prix Goncourt et le dernier fascicule de Stéphane Hessel.

Voir le lien ci-dessous pour pendre connaissance de l'article en question :

https://mail.google.com/mail/?shva=1#inbox/12d6582a7b9b5067

Mettre en parallèle ces deux textes dans une rubrique qui se veut "littéraire" n'a aucun sens  tant ils appartiennent à des genres différents. On comprend rapidement, en lisant l'article, que le journaliste ne s'intéresse pas du tout au livre de Houellebecq mais à la personalité du nouveau prix Goncourt et à ses déclarations dans les medias. Il n'y a rien de littéraire dans l'article du Canard enchaîné. Depuis le début, ce journal critique l'auteur de Extension du domaine de la lutte et des Particules élémentaires, non sur ce qu'il écrit, mais sur quelques bétises qu'il a pu dire , les jours où il avait sans doute consommé trop d'alcool, ce qu'il fait très souvent. Si l'on devait juger les écrivains sur leur vie et non sur leur oeuvre, le Lagarde et Michard, n'aurait pas fait plus d'un demi-volume, et encore.... On peut d'ailleurs se demander si le journaliste qui a pondu l'article sur le nouveau Goncourt a bien lu livre puisqu'il s'en prend, comme dans d'autres articles du Canard consacrés à l'une de leur tête de turc littéraire favorite, à l'homme et non à son oeuvre.. Passons.......

En revanche l'article ne tarit pas d'éloge sur le nouvel opus de Stéphane Hessel, qu'il ne peut évidemment comparer à La carte et le territoire mais dont il apprécie visiblement le contenu.

Que dire sur le succès de librairie de Indignez-vous ? Qu'il a rencontré de nombreux lecteurs car exprimant ce que beaucoup de gens ressentent ? Sans doute. Que les recettes qu'il propose pour alller au delà de l'indignation sont pertinentes ? Cela me parait plus discutable. Contrairement à ce que certains détracteurs reprochent à l'ouvrage, je pense que l'indignation est légitime lorsque le sentiment de révolte contre l'injustice qu'elle exprime se traduit dans les faits par une action qui ne soit pas en contradiction flagrante avec la révolte telle que la définit Camus dans l'Homme révolté. Le philosophe montre bien la différence entre la révolte, qu'il respecte et qu'il prône, et la révolution qui, selon lui, nie le plus souvent les raisons de la révolte première celles qui firent se dresser les révoltés contre leurs opresseurs. le problème n'est donc pas l'indignation, mais les solutions suggérées par l'ouvrage.

La vie et les livres de Hessel ne sont pas en contradiction flagrante avec ce qui suscite son indignation bien sûr. C'est un homme qui eut un itinéraire admirable, mais encore une fois c'est la posture nostalgique et passéiste, que l'on voudrait faire passer comme étonnement moderne, qui m'inquiète, pour la lucidité de nos concitoyens..

Pour revenir au succès de librairie, je pense que l'une des raisons de cet engouement, peu évoquée, réside dans la taille réduite du texte. Il est plus facile de lire un petit opuscule d'une trentaine de pages seulement, surtout si on lit peu ou jamais et si l'on demande à un texte qu'il nous assène des certitudes bien joufflues ne risquant pas de nous faire douter. Lorsque, qui plus est, on frotte dans le sens du poil avec les meilleurs sentiments et intentions du monde et parfois dans celui du poujadisme ordinaire en s'en prenant aux politiques, aux riches, aux banquiers, on ne risque pas de déplaire.

La où ça ne va décidément plus, c'est lorsque l'on  préconise d'appliquer, pour le présent et le futur, les bonnes vieilles recettes de papa.  Je respecte beaucoup Hessel pour ce qu'il a fait, mais si l'avenir appartient désormais à de vieux radoteurs aumotif qu'ils furent des modèles dans le temps jadis, alors là, je m'incline. J'invite notamment les admirateurs de Indignez-vous à prendre connaissance de ses déclarations sur la Palestine et de l'indulgence (frôlant la sénilité..) qu'il montre à l'égard des terroristes palestiniens et du Hamas en particulier, condamnant Israël beaucoup plus que les pires islamistes. Il me fait penser à ces "spoutniks" (littéralement compagnons de route en russe) du PCF, satellites angéliques des pouvoirs totalitaires, utilisés et instrumentalisés par les pires régimes et leurs supporters dans les pays démocratiques dans le cadre du "mouvement par la paix", qui, déjà, servaient de caution humaniste à des partis et personnages beaucoup moins sympathiques, en quête de respectabilité . Toute la classe politique progressiste, en mal d'idées nouvelles, se réfère en ce moment à Hessel et à son livre comme les gardes rouges brandissaient autrefois les pensées de Mao. Le nouveau petit livre rouge à l'attention de lecteurs d'un jour pour reader's digest politique est devenu le vademecum stratégique  dans la guerre de tranchées que continuent à livrer, en avançant masqués derrière les bons sentiments de Hessel, tous les nostalgiques d'une révolution néo marxiste n'osant plus dire son nom ou ceux qui préconisent toujours aujourd'hui des solutions qui on fait la preuve de leur nocivité dans les pays communistes. On évite soigneusement de se référer au marxisme, même si le curriculum caché demeure identique. On se contente prudemment, derrière l'étandard généreux de Hessel, de se proclamer désormais, "résistants" contre le neo-libéralisme (qui nous mènerait évidemment inéluctablement vers le fascisme..), en attendant de pouvoir un jour nous refourguer les.  recettes économiques qui ont lamentablement échoué partout où elles ont été appliquées de manière systématiqueL'échec systématique et répété des systèmes hyper étatiques où l'état régule trop et tout , ceci dans des pays pourtant aussi différents que l'étaient au départ ceux d'Europe de l'est, d'Asie, d' Afrique, d'Amérique latine où il fut expérimenté à grande échelle et sur une durée significative. n'est-il pas de nature à persuader ses sectateurs les plus zélés que Marx s'est trompé ?

Le libéralisme non régulé par l'état (qui n'est pas l'économie de marché..) a effectivement échoué lui aussi lamentablement (quoique de façon moins structurelle, plus conjoncturelle que le communisme, n'en déplaise à Badiou, partout où ce second système fut mis en place), mais ce n'est pas en appliquant le programme du CNR, très inspiré lui aussi par un PCF alors fortement inféodé à Moscou, que l'on trouvera des solutions aux problèmes qui nous sont posés hic et nunc, alors même que les pays du "socialisme réel" ont implosé sans même que l'occident capitaliste ait eu besoin d'agir...

Les grands principes dont parlent Hessel, qui ont inspiré les législateurs de l'immédiate après-guerre, ont effectivement débouché sur des mesures qui ont marché pendant trois décennies. Mais si les principes doivent demeurer d'actualité et continuer à inspirer le législateur, les mesures concrètes qui les ont actualisés dans les domaines économique et social ont été décidées dans , un monde totalement différent du nôtre :  Une France peuplée de travaileurs pauvres, prêts à travailler pour des salaires modestes, comme en Chine et en Inde aujourd'hui, ainsi que  l'a rappelé l'économiste Cohen à l'émission animée par Pierre Arditi cette semaine à la télévision. Une France détruite, deux fois plus pauvre que l'Amérique, aux salaires bien plus bas que ceux d'outre-atlantique, pouvant produire des biens qui s'exportaient assez bien et qui ne connaissaient pas la concurrence des pays émergents, qui à l'époque neproduisaient rien de ce qui faisait la suprématie économique de l'occident. D'ailleurs, tous les pays européens ne se sont-ils pas développés comme la France, avec des politiques économiques et sociales pourtant très différentes de celles pratiquées dans l'Hexagone ? Les grandes orientations du programme du CNR ont pu jouer un rôle dans la prospérité des trente glorieuses, mais en faire la principale (voire l'unique) raison de la formidable progression des niveaux de vie dans les années 50, 60 et 70 n'est pas sérieux. Et pourtant, est-il certain que ceux qui connurent ce formidable "bond en avant" avaient conscience du progrès en train de s'accomplir ? Moi qui ai vécu cette époque, je ne cessais d'entendre les gens se plaindre, dire que tout allait mal, qu'il y avait du chomâge, que la vie était de plus en plus chère, ceci alors même que le niveau de vie doublait tous les dix ans, que les jeunes que nous étions trouvaient du travail facilement à la sortie de l'école...

Selon Hessel et bien d'autres qui ont la mémoire courte, on démentèlerait aujourd'hui seulement le programme du CNR ? Comme si les différents pouvoirs et présidents qui se sont succédés depuis la fin de la guerre avaient attendu Sarko pour adapter (démanteler disaient déjà tous les nostalgiques archéos à l'époque) le programme du CNR aux réalités nouvelles d'un monde en perpétuelle évolution. A en croire le journaliste du Canard, on a l'impression que les "acquis" sociaux de l'immédiate après-guerre étaient encore tous en place avant l'arrivée de Sarkozy au pouvoir et qu'il fut le premier à les "démanteler".

Et De Gaulle que l'on encense maintenant ? Avec sa cinquième république ? N'a-t-il pas radicalement remis en cause le sytème politique, parlementaire, imaginé alors par le CNR ?

Et Mitterand en 83, avec sa rigueur et Delors comme 1er ministre, n'a-t-il pas pris acte de la situation nouvelle créée par l'augmentation des prix du pétrole  ? 

Croit-on vraiment que la gauche, si elle venait au pouvoir, s'inspirerait du programme du CNR pour nous sortir de la crise ? Veut-on nous faire croire que la politique économique de DSK différerait radicalement de celle du pouvoir actuel ?
Décidément, les peuples et les journalistes du canard ont la mémoire courte. Ou, plutôt,  concernant les journalistes du Canard, ils savent bien que les adaptations au monde moderne n'ont pas commencé récemment (voir la crise de la sidérurgie gérée par les socialistes), mais ils préfèrent faire "comme si", afin de pouvoir faire pleurer dans les chaumières avec une énième version de la théorie du grand complot, qui trouvera toujours des lecteurs friands de ces simplifications historiques dont raffolent les foules.

Je précise que  je n'ai pas voté Sarkozy et ne le ferai pas encore cette fois, mais vraiment, si ce que l'on me propose en échange comme credo de la nouvelle gauche, c'est le programme du CNR, alors "Nein Danke", comme disent les écolos allemands du Nucléaire. Je risque de m'abstenir aux prochaines élections........
 
Ci-dessous, un lien vers un article, dont je ne partage pas toutes les affirmations loin s'en faut (notamment sur le fait que les marchés financiers iraient spontanément vers la liberté et la démocratie), mais qui montre que l'on peut douter que tout ira mieux en se repliant sur le bunker idéologique du programme du CNR et en défilant derrière de vieux papys, qui furent admirables, mais font peut-être "le match de trop," comme on dit en foot
 
http://www.slate.fr/story/32189/indignez-vous-hessel-erreur-creux