Un fait d’actualité très intéressant, qui mérite selon nous d’être relayé.
Pendant que la révolte gronde un peu partout dans le monde, que le succès de « Indignez vous » de Stéphane Hessel n’en finit pas de diviser nos élites intellectuelles, les couloirs feutrés du Medef ne font pas exception à cette prise de conscience généralisée.
Eric Verhaeghe, 42 ans, énarque et ex-haut fonctionnaire, n’a pas à priori le profil d’un révolté. Habitué des cercles de pouvoir et ponte du Medef, il vient pourtant de claquer la porte de l’Association pour l’emploi des cadres (Apec), organisme paritaire à un moment charnière de son existence, en ne se gênant pas pour tirer à boulets rouges sur le Medef.
Moment charnière car cette démission intervient au moment où l’Apec, comptant 900 salariés et financée aux 2/3 par une cotisation obligatoire des cadres (0,06% du salaire) est sommée par Bruxelles de clarifier ses missions entre celles relevant du service public – au profit de ses cotisants- et ses activités commerciales pour lesquelles elle est en concurrence avec des sociétés d’intérim. Eric Verhaeghe, titulaire d’un mandat d’administateur au nom du patronat dans ces organismes paritaires, avait ainsi proposé de filialiser les activités concurrentielles afin de répondre aux injonctions de Bruxelles. Le Medef n’a pas souhaité retenir cette proposition et « a préféré proposer une transformation de l’Apec en satellite du service public de l’emploi ».
« Je suis en désaccord avec les orientations générales du Medef » qui n’a « pas mené sa rénovation intellectuelle à la suite de la crise de 2008″
Eric Verhaeghe en a tiré toutes les conséquences et a déclaré à la presse le 12 janvier 2011 « avoir démissionné mercredi de tous les mandats que le Medef m’a confiés, au premier chef la présidence de l’Apec » pour lequel il avait été élu en juin 2009 pour 2 ans, et également « de l’Agirc, de l’Acoss, de l’Unedic, de la Cnav et de Pôle emploi ». Il a déclaré au cours d’une conférence de presse que ce désaveu ayant conduit à sa démission, n’était que « le symptôme d’un malaise plus profond ».
Ses critiques à l’encontre de l’organisation patronale vont donc beaucoup plus loin et rendaient difficile la poursuite de ses activités au sein du Medef. Il les développe dans l’ouvrage décapant qu’il vient de publier, « Jusqu’ici tout va bien », éditions Jacob-Duvernet. Il s’en prend en particulier à la thèse du Medef sur la nécessaire « baisse du coût du travail ou du poids de la fiscalité », risquant de mettre « en danger notre pacte républicain » et favoriser socialement « l’extrémisme ».
« Il est dangereux de répéter à l’envi que le coût du travail est trop élevé ».
« En pesant sur les conditions de vie des salariés, on pousse ceux-ci à s’endetter massivement pour vivre. Or, la crise a démontré les dangers de l’endettement ». Il défend aujourd’hui l’idée que les « élites doivent assumer leur part d’effort » pour redresser la situation financière du pays : « Le niveau atteint par la dette ne permet plus de financer des baisses d’impôts ciblées sur les plus hauts revenus ».
L’ex-membre du Medef ajoute que « Face à la crise, le monde patronal doit assumer ses responsabilités, prendre sa part d’effort et ne pas chercher à alléger au maximum son fardeau en le transférant sur la majorité laborieuse« . Sur un plan moral, lance-t-il, « rien ne justifie que le remboursement de la dette soit assumé par les plus bas revenus » qui en « profitent le moins ».
Il appelle les élites à « ne pas se comporter comme une noblesse d’ancien régime » et les exhorte à « un sursaut républicain« .
M. Verhaeghe s’est cependant refusé de critiquer la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui fait un travail « compliqué« , selon lui.
Point de départ de sa réflexion : la crise de 2008
Ainsi que l’attitude des grands patrons, à ce moment surtout préoccupés, selon lui, par la préservation de leurs avantages : « Alors que les entreprises allaient mal, que des charrettes de licenciements étaient annoncées, une seule chose occupait les esprits : la situation juridique des dirigeants ». Ce constat est pour lui un véritable choc qui, de fil en aiguille, lui fait prendre conscience que « sous couvert de mener de grandes réformes économiques libérales, une aristocratie a dévoyé notre régime démocratique et l’a capté à son profit ».
L’ex-patron de l’Apec va continuer d’exercer sa fonction de directeur des affaires sociales de la Fédération française des sociétés d’assurance, qu’il occupe depuis 2007. Dans une première réaction, le Medef s’est borné à indiquer qu’il allait nommer à sa place Catherine Martin, directrice des relations sociales de l’organisation patronale.
M. Verhaeghe considère donc que l’intérêt général des nations impose des réformes urgentes pour construire un nouvel ordre social et que les propositions du Medef vont à rebours de l’intérêt économique du pays.
Saluons donc son courage et ce sursaut salutaire d’intégrité. A 18 mois des prochaines élections présidentielles, souhaitons que cette thèse fasse des émules…
Sources :
AFP
Les Echos