De Marc Dugain, j’aurais recommandé sans hésiter la Chambre des Officiers, et plus encore (parce qu’il est plus amusant) la Malédiction d’Edgar. Une exécution ordinaire m’a laissée plus perplexe, et je suis franchement déçue par l’Insomnie des étoiles. Comment un auteur capable, comme celui de la Malédiction d’Edgar, de transformer sa langue pour la mettre à l’unisson de ses personnages, de raconter une histoire imbriquant plusieurs récits rapportés sans jamais (dans mon souvenir) vaciller dans la cohérence des points de vue narratifs, peut-il s’être transformé du jour au lendemain en un hybride de Paulo Coelho et de Jean-Christophe Granger?
A Paulo Coelho (et je dis ça parce que je suis gentille et que je ne veux pas parler de Marc Levy), Marc Dugain semble avoir emprunté un titre à la fois cosmique et moralisant. Cosmique, vous me l’accorderez; moralisant, c’est lui-même qui le dit, puisque l’insomnie des étoiles est provoquée, nous révèle-t-il dans ses interviews, par leur consternation devant les agissements des hommes. Et pour rester dans le cosmique, son héros est bombardé astronome, bien qu’aucun rapport autre que métaphorique ne puisse être détecté entre cette précision et la matière de l’histoire. Il semble bien en l’occurrence que Marc Dugain se soit avant tout préoccupé de fournir au capitaine Louyre un peu de mystère, d’originalité et de détachement, à peu de frais : car de l’astronomie, on s’en doute, le lecteur n’entendra jamais parler dans ce roman. Du côté de l’autre personnage clé du livre, la jeune Maria, ce n’est pas plus brillant : malgré une remarquable entrée en matière, qui raconte plusieurs mois pendant lesquels elle semble être le seul personnage conscient dans une plaine en décomposition, elle perd très vite par la suite sa consistance et ne se caractérise plus que par une chevelure de Lorelei et un comportement peu conventionnel.
Jean-Christophe Granger n’eût pas renié, pour sa part, un style à la fois relâché et parfois inutilement ampoulé, qui se signale en particulier par une habitude très agaçante : celle qui consiste à désigner les personnages par un nom commun qui ne possède même pas l’excuse d’être un titre. Maria Richter est régulièrement appelée « l’adolescente » (pour le cas où on n’aurait pas enregistré son âge du premier coup). Outre que c’est ne pas faire grand crédit au lecteur, c’est aussi pour le moins maladroit quand le point de vue adopté est justement celui de Maria : ce changement abrupt et temporaire de subjectivité, qui conduit à la voir comme le ferait un observateur neutre alors qu’on partageait ses pensées à la ligne d’avant, fait un peu loucher le lecteur. Le capitaine Louyre souffre aussi d’erreurs du même tonneau: dans un passage qui le montre seul dans son bureau, on lit « on sentait chez lui… ». On? qui ça, on? Le point de vue est-il celui de Louyre, ou y a-t-il dans le bureau un autre personnage qu’on n’aurait pas remarqué jusque là? Ou, plus grave, Marc Dugain ne prête-t-il aucune attention à la cohérence de son système de narration?
Je suis donc fort déçue par cette Insomnie des étoiles, d’autant plus que je reste convaincue des remarquables qualités d'écrivain de Marc Dugain. Celles-ci sont perceptibles notamment dans la qualité des conversations de Louyre avec les Allemands, et dans celle de l’histoire elle-même qui, malgré toutes mes récriminations et nonobstant une fin franchement bâclée, s’avale en une heure et non sans plaisir.
L’insomnie des étoiles, Marc Dugain, 2010